LITTÉRATURE: Papillon bleu

Paru en début de pandémie, le premier roman de Kim Fu traduit en français, For Today I Am a Boy chez Héliotrope, mérite amplement de sortir du nuage covidien. Le récit, qui se déroule en grande partie à Montréal, traite de transsexualité, de racisme, de traditions, d’immigration, de violence… Bref, de sujets tout aussi caniculaires les uns que les autres.

Peter Huang est une femme. ll en a la certitude absolue, le sentant dans son corps, son esprit, ses aspirations, ses fantasmes. Mais la route sera longue avant de pouvoir vivre pleinement ce sentiment. De l’enfance jusqu’à l’âge adulte, le voyage se déroulera longtemps dans l’ombre des conventions avant d’atteindre la lumière de la vérité.

Son parcours sera semé d’embûches et de préjugés, dont les pires sont le fait de sa famille immigrée de Chine. Sa mère traditionaliste et son père, personnage ambigu qui souhaite s’intégrer parfaitement au Canada, tout en étant un chef de clan si fier d’avoir un fils parmi trois filles, auxquelles il ne prête guère attention.

Dans sa ville de Fort Michel en Ontario, Peter vit un peu par procuration la vie de ses trois sœurs, la rêveuse Adele, la sérieuse Helen et la rebelle Bonnie. Il est très attaché à ses soeurs et rêve de Montréal la ville libérale avec son bon copain Ollie, mais c’est seul qu’il aboutira finalement dans la métropole québécoise.

Peter souffre de solitude et pense au suicide. Heureusement, il rencontrera quelques anges gardiens sur son chemin. Puis Bonnie débarquera, et Montréal s’ouvrira enfin à lui, la ville tolérante dont il avait tant besoin.

La prose directe et réaliste de Kim Fu ne cherche aucunement à poser Peter en victime. Au contraire, la jeune femme en devenir possède l’énergie et la naïveté de sa jeunesse qui lui serviront dans les moments les plus noirs. Son amour du cinéma et d’un certain glamour hollywoodien, d’Audrey Hepburn à Humphrey Bogart, l’aident à sublimer sa vie.

Puis, il y a les trois sœurs qui ont, oui, quelque chose de tchékhoviennes. Très différentes les unes des autres, mais porteuses d’une seule et commune alacrité: « il faut bien vivre ». Entre une maîtresse âgée plutôt sadique et des hommes bisexuels, qui jamais n’avoueraient leurs tendances, Peter expérimente, survit et trouve ses repères. On sait que ça ira bien. Le titre et et l’écriture habile de Kim Fu nous le disent dès le début.

Peter deviendra ce qu’iel est. La femme est telle qu’elle se fait, aurait pu dire Sartre aujourd’hui, si l’existentialisme était vraiment un humanisme évidemment!.

Au cours de ce périple complexe et changeant, l’autrice expose la société canadienne dans tout ce qu’elle peut contenir de racisme et sexisme systémiques. Sans en faire un plaidoyer. Kim Fu ne dénonce pas, elle expose les faits au sein même de la narration.

La plume réfléchie et métaphorique de la romancière raconte en évitant les excès du pamphlet ou de la victimisation. Même écrite au « je », la narration garde une certaine distance, une saine neutralité. C’est un « je » sujet qui considère parfois regarde le « je » objet, Peter, comme si elle le considérait avec empathie.

Un excellent premier roman, dans une traduction juste de Jeannot Clair, empreint de beaucoup de sérieux, mais sans pathos et d’un certain humour, par moment. La fin jubilatoire de la chenille devenu papillon nous fait comprendre que Peter Hoang, tel que vu ou peut-être même vécu par Kim Fu, est un genre de victoire sur la haine des fascismes ordinaires. Oui, il y a de l’espoir.

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Extrait du livre

« Je refusais. je pouvais entendre ma voix refuser, puis voir Bonnie acquiescer tristement. Je pouvais la voir remettre avec précaution la poupée sur mon lit, s’excusant de l’avoir brisée. S’excusait-elle plutôt de son caractère bouillant, ou de ne pas m’avoir offert plutôt de l’accompagner? De ne pas avoir formulé ça plutôt? Tout ce temps perdu à ne pas dire: « Soeur, ma soeur, je l’ai toujours su ». »

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Kim Fu

For Today I Am a Boy

traduit par Jeannot Clair

Héliotrope

360 pages