LITTÉRATURE: Errer comme imaginer

Le premier roman de Mattia Scarpulla ne s’éloigne pas de sa démarche poétique. Il y est question de migrations réelles, d’imagination fantasmagorique, voire hallucinée. Le personnage principal valse entre une tragédie grecque et un univers qui se suffit à lui-même. Le lecteur erre aussi en se laissant porter par la prose délectable de cette voix singulière dans notre littérature. Entrevue.

Mattia Scarpulla se préparait au combat de l’écriture de son premier roman depuis longtemps. Sa poésie en prose – col fiato [avec souffle], Journal des traces et hallucinations désirées et origines en fuite (les deux derniers publiés par L’Harmattan, Paris) – et son recueil de nouvelles (Préparation au combat, chez Hash#ag) trouvent écho dans Errance, chez Annika Parance Éditeur.

On pourrait parler de suite dans les idées, mais ce serait réducteur. Mattia Scarpulla a développé un style unique dans sa langue seconde, le français, de sorte qu’il n’écrit comme personne d’autre au Québec. Une esthétique doublée d’un imaginaire étonnant qui s’épanouit ici dans une fiction pure. « Un monde autre », « familier et étranger » tout à la fois.

Mattia Scarpulla, photo; Atwood Photographie

« C’est lié pour moi à l’identité, à la liberté de mouvement. On est davantage libre dans l’imaginaire. Le personnage est malade de ses origines, de son passé. Il l’a subi et n’a pas réussi à le sublimer. À un moment donné, c’est comme s’il tombe dans un délire et tout le passé resurgit. C’est un personnage tragique », décrit l’écrivain né en Italie et qui a vécu en France avant de s’établir au Québec. »

Tous les personnages du roman ont plusieurs identités, se transforment. Au début, Stefano vit un bonheur familial ordinaire avec Sophie et leur fille Elisa. mais le passé, où il s’appelait Bruno, le rattrape et le fait sombrer dans le délire. Narrateur non fiable s’il en est, Stefano/Bruno ne nous apparaît plus alors tout à fait sympathique puisqu’il se laisse aller à la rancune et la violence.

« Beaucoup de personnes que j’ai rencontrées d’une migration à l’autre, sont très différentes selon l’endroit où elle se trouvent. Donc, Stefano et Bruno sont très différents, mais, à mon avis, c’est possible, selon le moment de la vie. »

On suit donc les faits et gestes de Stefano/Bruno au présent avec sa famille, sa copine Sophie et sa fille Elisa, dans des flash-backs italiens et dans la folie, ce qui se voit traduit graphiquement par l’usage d’italiques.

Mattia Scarpulla cultive l’incertitude en quelque sorte, superposant des couches de narration distinctes qui peuvent déstabiliser joyeusement le lecteur. C’est un écrivain de l’ambiguïté. Il cite d’ailleurs Carlos Fuentes et Milan Kundera parmi ses inspirations diverses.

« Ce type de littérature me passionne. J’aime aussi les romans qui vont de cause à effet avec des personnages auxquels on s’identifie, mais ce ne sont pas mes préférés. Pour l’instant, je ne réussis pas à faire des personnages sympathiques. Je n’arrive pas à m’y identifier moi-même. Le personnage est indépendant. C’est l’histoire qui mène. Sans être cynique, je crois qu’on ne peut pas se fier à rien dans la vie. J’aime découvrir dans un livre quelque chose de différent à chaque fois. »

Désillusion

Dans l’univers mouvant de Mattia Scarpulla, la famille et le couple, évoluent dans des sables mouvants. Les personnages peuvent perdre pied à tout moment.

« L’un des thèmes du roman est la désillusion intime et sociale, c’est certain. Il s’agit de déracinés. On trouve dans le livre plein de jeunes qui disent vouloir faire la révolution, mais finalement, ils n’y donnent pas suite. L’immigration est souvent une expérience parsemée de désillusions. »

En filigrane, la politique et la société italiennes sont évoquées, « mais, précise-t-il, je ne voulais pas faire un roman à thèse ou sociologique. J’ai privilégié l’histoire des personnages. »

Dans cet espace/temps désenchanté, Stefano/Bruno recourent à la vengeance et au meurtre si, évidemment, on fait du roman une lecture au premier degré, sans croire au délire du protagoniste.

« C’est un personnage dont on lave le cerveau au sein de la famille de son ex-copine Rebecca et il sent qu’il a trahi les valeurs de ses propres parents. La frustration le domine. Il est incapable de pardonner. On idolâtre le passé et la famille souvent, mais je suis parti de l’opposé. »

« En même temps, je ne saurais expliquer la violence de mes personnages, ajoute-t-il. Peut-être parce que j’ai beaucoup travaillé, quand j’étais en danse, avec des cas de violence, ce qui peut représenter un mode d’expression pour certains. »

Violence

Cette violence ne s’éloigne guère de la barbarie actuelle où le racisme semble fier de se dévoiler, tout comme planent la polarisation des débats, les excès, la brutalité.

« La violence n’est pas nouvelle. On peut le voir avec ce qui se passe aux États-Unis, au Brésil, mais si on se rappelle du temps de l’Inquisition, c’était très violent aussi. »

À la fin, on retrouve Sophie et Elisa, de réelles battantes dans ce monde où les hommes sont dominants, afin d’entrevoir une autre facette de la réalité du récit. « Je voulais finir avec leur point de vue, quelque chose de plus positif. Ce sont aussi des personnages qui changent », confie l’auteur.

Mattia Scarpulla avait entrepris ce roman en France avant d’arriver au Québec en 2012. Ce récit hybride, original, est celui d’un artiste qui a voyagé et qui a choisi de vivre ici. L’errance du romancier semble terminée, mais pas celle de ses personnages, en fiction ou en poésie.

Dans un style unique où la langue italienne fait de belles percées, l’auteur continuera sur sa lancée dans le prochain livre, toujours loin de l’autofiction ou de l’hyperréalisme.

« J’ai réussi à écrire ce que je voulais et je suis d’accord avec moi-même », conclut-il.

Extrait du roman lu par son auteur

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Mattia Scarpulla

Errance

Annika Parance

344 pages