
Frédéric Bérard a déjà plusieurs essais, certains plus savants que d’autres, sous la cravate. Les plus connus du grand public sont certainement Dérèglements politiques et La Fin de l’État de droit?. Il nous revient avec La Terre est une poubelle en feu au moment où il semblerait bien qu’un virus nous est né de cette concoction.
J’ai reçu le livre. Bon, couverture rouge. Sous-titres aux accents catastrophiques. Bandeau noir qui ceint le tout annonçant le dernier acte de notre humanité et proclamant ce désespoir ultime qui devrait nous motiver à agir, enfin! J’ouvre et je lis en diagonale. Phrases courtes, amputation du sujet qui fait que celles-ci commencent directement avec le verbe, recours à des expressions du langage oral, quotidien, pour bien rejoindre le lecteur. Voilà, me dis-je, un autre de ces chroniqueurs populistes et démagogues. Un autre à l’indignation bien dosée pour être spectaculaire! Et puis, quelle idée de s’emporter ainsi! Je sais bien : l’heure est grave! Mais si on gaspille toutes ses cartouches d’emblée, si on sort d’entrée de jeu la grosse artillerie, que pourra-t-on faire plus tard sinon de devoir s’offrir l’opprobre de devoir baisser le ton! Bref, pas très bien disposé à l’égard de cet essai, je suis!
Eh ben, ça m’apprendra! Je sais; j’aurais dû savoir qui était Frédéric Bérard. La faute est mienne! Mais je ne le connaissais pour une raison qu’il explique fort bien lui-même dans son livre. C’est la surenchère de réseaux sociaux, de chroniqueurs dans les journaux, de ces amateurs et professionnels de l’opinion qui commence à saouler tout un chacun!
Il n’y a rien de poseur ni d’emprunté dans cet essai. Bien sûr, les textes sont brefs et composés de phrases courtes, comme le sont parfois ceux de chroniqueurs un peu trop pressés par un agenda très fourni. Mais la pensée qui les traverse ne l’est pas, elle, courte, mais alors pas du tout.
C’est que ces écrits sont issus de la chronique que tient Frédéric Bérard au journal Métro. On connaît le créneau que remplit ce journal; il est destiné au public des usagers, de ceux qui lisent en brinquebalant de tout le corps au rythme du roulis des transports publics. On ne peut espérer donc y aller en ces pages de textes longs et touffus. Il faut savoir expliquer, retenir l’attention en peu de mots. Mais cela ne signifie pas pour autant d’alléger le contenu, bien que ce soit là certainement un des écueils de ce type de publication.
Dérives
La difficulté de réunir de tels textes réside dans la séquence à respecter. Là-dessus, il a été décidé de diviser l’ensemble en trois chapitres globaux. Ils portent le titre de : Dérives climatiques, Dérives politiques et Dérives médiatiques. Je le chicanerais quelque peu là-dessus. Il m’apparaît un peu étrange de commencer avec un sujet à la portée si dramatique.
Au regard du premier thème, qui lui inspire des mots si durs et le plonge dans une angoisse si désespérante, les autres paraissent, je dirais, presque frivoles. L’introduction, échange de lettres entre Bérard et sa fille sur le futur de notre planète, contribue à cette impression. Mais elle ancre aussi tous les thèmes abordés dans la fureur de notre époque et souligne l’importance des défis d’aujourd’hui. Ce livre n’est pas un exercice de rhétorique; il y a là-dedans des envolées qui devraient nous intimer au réveil et à la résistance.
Frédéric Bérard remporte donc avec force et élégance ce pari de savoir faire dans le direct et le punché sans pour autant édulcorer la profondeur de ses positions, aussi tranchées puissent-elles être parfois. Il n’y a rien de facile, ni de désinvolte dans ces textes qui portent sur la crise climatique, la loi 21, la Charte des valeurs, le Programme d’expertise québécoise, entre autres. L’emportement y est, en plus, sincère et on ne sent pas que l’émotion est là pour épater la galerie et convaincre de l’humanité profonde du chroniqueur. C’est le moyen qu’il s’est donné de nous empoigner et de nous secouer jusqu’au sursaut éthique.
On se convainc facilement que cet homme est moins préoccupé de légalité que de justice et que la première instance est là pour épouser au plus près la nécessité de s’approcher de la seconde. On sent bien que c’est là la motivation première à son choix de carrière et à son désir d’engagement par l’écriture. Ce n’est pas pour rien, non plus, qu’il cite souvent Albert Camus, l’auteur de la pièce de théâtre Les Justes. L’écrivain française était épris de justice et d’égalité. Frédéric Bérard cherche donc à être à la hauteur de cette éthique de l’équité. Il est ce juste égaré dans les contradictions éthiques, les dérives intellectuelles de notre époque et s’en désolant profondément.
Quand il apostrophe le lecteur, c’est dans le désir d’amener celui-ci à s’élever, lui aussi, vers cet idéal. Tout en sachant bien qu’il n’est pas le seul et unique représentant de celui-ci, que lui aussi est à la recherche de ce qui doit être fait pour assurer la dignité et la probité des hommes et des femmes de ce temps. Et ce, dans la pérennité d’un système médiatique et politique qui leur convienne et d’un environnement qui les soutienne et les sustente.
Bref, voilà un auteur à lire pour tous ceux qui cherche le fil éthique qui doit être suivi pour bien naviguer dans les méandres de notre époque troublée!
Frédéric Bérard
La terre est une poubelle en feu. Chroniques sur la crise climatique, le populisme et autres fins du monde
Éditions Somme toute
200 pages