LITTÉRATURE: La petite bourdonne

Un premier roman fort que ce Burgundy de Mélanie Michaud. La bourdonnante petite Mélanie raconte son enfance et son adolescence dans la Petite-Bourgogne à Montréal. Un quartier surtout dur et parfois drôle. Comme la vie.

Une enfance difficile dans un quartier nauséabond. Dès le départ, Mélanie Michaud nous avertit que le trajet de la narratrice de Burgundy serpentera ni dans les bons sentiments, ni dans la beauté du monde.

La petite Mélanie, narratrice, nous en met plein la vue avec des images devant lesquelles, dans la vie de tous les jours, on préfère détourner le regard. La grande Mélanie, romancière, nous fait rire en étalant épais son beurre de pinottes Skippy, à moins que ce ne soit Jif, et en passant le tout dans sa mémoire blender.

Burgundy c’est la langue mi-french mi-bloke de certains quartiers pauvres de Montréal et ordinaires de banlieue où vivra Mélanie. Les anglicismes ne sont pas ici des effets pour faire cool. Ils se trouvent sur le bout de la langue des habitants des quartiers mélangés dans m’lasse de Montréal, à l’est comme à l’ouest de la ville ou aux alentours. Une langue pauvre et riche à sa façon.

La petite Mélanie, donc, et heureusement, se révèle une brillante enfant et adolescente. Rusée, débrouillarde, créative. Du moins aux yeux de la grande Mélanie. Mais c’est un roman, pas un récit. Le regard analytique de la romancière change tout, évite la facilité, cherche la vérité sous les apparences et une certaine joie sous la crasse. Dans l’exagération et quelques fabulations, soupçonne-t-on aussi.

« Pauvreté du langage et du ventre, j’aurais mieux aimé manger un dictionnaire en arrière de la tête. Si j’aurais eu le dictionnaire, j’serais été moins stuck devant la parlure avec des mots qui se jousent de moi. »

Mélanie fantasme sa vie parce qu’à « Burgundy, personne ne transcende, tsé« , dans ces années 80 où tout était laid. Sa famille inclut des « fous immédiats » : un père violent, d’une mère « fine pareille », mais convaincue d’être née pour un petit pain à hot-dog et d’un frère, symbole de « rédemption ». Quant à elle, Mélanie note que « la ligne est mince entre douée et loser ». Hyperactive et turbulente, on le serait à moins, Mélanie gagne tout de même un concours d’écriture.

Même si les chapitres sont courts et représentent de petites histoires complètes, le continuum est assuré par une narration dynamique. Grâce à une galerie impressionnante de personnages secondaires ainsi que des allers-retours entre les jeunes et moins jeunes années, il n’y a pas de temps mort chez Mélanie Michaud.

La misère, la violence et la pauvreté du quartier, des familles, des esprits, même des espoirs, occupent cependant le devant de la scène tout au long du récit. Le regard de travers de la narratrice ne veut rien occulter. La petite Mélanie évitera le Ritalin, mais pas le weed qu’elle vendra un peu plus tard.

« Quand j’y repense, mes souvenirs de Burgundy ne sont pas si tristes, pas tous en tout cas. Pour me faire un portrait juste, il faut prendre du recul. C’est sûr que je ne l’ai pas toujours eu facile, mais passer au travers de l’enfance n’aura pas été si difficile non plus. C’est même ma période de vie préférée à date. »

Burgundy c’est une sorte de prison à ciel ouvert. On peut en sortir sans arriver, toutefois, à extirper le quartier de ses tripes. Ça rend nerveux, triste, parano. Entre les soirées de lutte et de bingo, les agressions sexuelles et les cassages de gueule, une chance qu’il y a une mémère aimante et de vrais rêves pour amener la petite qui ne tient pas en place vers une autre place, justement, un ailleurs à définir.

Burgundy, ce n’est pas la fin du monde non plus si on est fait fort. C’est ce qui risque d’arriver à Mélanie devenue grande. Difficile de rester droite quand tout a commencé croche, mais elle porte « l’atavisme de désirer mieux faire ».

Les titres de chapitres nous sont apparus futiles en raison de l’écriture luxuriante de Mélanie Michaud qui n’a guère besoin de présentation. Le style pourra encore s’affiner en évitant quelques clichés et une tendance répétitive à l’apitoiement sur soi.

Néanmoins, cette expérience de vie incroyable est belle en quelque part. On la sent porteuse de bien d’autres histoires potentielles en raison d’un talent de conteuse indéniable. Il y a de ces fleurs qui poussent sur le fumier.


Mélanie Michauid

Burgundy

La Mèche

198 pages