THÉÂTRE: Aujourd’hui ou demain quoiqu’il arrive

Le Centre du Théâtre d’aujourd’hui se lance. Les cyclistes roulent, mais les artistes travaillent aussi rue Saint-Denis. Ils joueront devant public demain, dans deux mois ou plus tard. Pas question de virtuel au CTDA pour l’instant. Le directeur, Sylvain Bélanger, s’engage envers les artistes pour continuer de répéter et de présenter les neuf pièces prévues au programme quoiqu’il arrive.

C’est un défi lancé à la COVID. Au CTDA, les artistes planchent sur neuf projets qui verront le jour d’une manière ou d’une autre en 2021-22, voire après s’il y a des reports. Ce n’est qu’une question de temps, dont les artistes disposent d’ailleurs pour peaufiner leur spectacle, avant que le public puisse également en profiter.

Ceci dit, les mesures sanitaires décideront des dates, de possibles reports et de douloureuses annulations, si jamais c’est le cas. On n’exclut pas d’étirer la saison jusqu’à la fin de l’année prochaine au CDTA et plus loin encore. Ce qui compte c’est de payer les artistes pour le travail effectué, que la pièce soit présentée publiquement ou non, souligne Sylvain Bélanger.

 » Aujourd’hui, on avait envie de parler de nos artistes et de ces projets-là. C’est presque toute la saison 20-21 prévue dès le départ, sauf les reprises de Lignes de fuite et de Ceux qui se sont évaporés. Mais c’est dur de travailler avec des mesures annoncées au compte-gouttes. C’est comme monter une côte sur le break à bras. On est toujours en train de faire bouger les choses « , confie-t-il.

Le directeur artistique du CTDA déplore le fait que les artistes vivent dans une grande insécurité depuis plus de six mois maintenant.  » Ce que je leur dis à ceux et celles qui sont là, c’est qu’on ne changera rien, qu’ils seront payés. Tout ce qui manque ce sont des dates. « 

 » On est dans un creux de vague de notre énergie en ce moment, ajoute-t-il, puisqu’on ne sait pas ce qui nous pend au bout du nez. On prépare et on tire la plogue deux semaines à l’avance et on recommence. C’est hyper-épuisant. On va constamment bouger jusqu’à la fin de la pandémie, j’ai l’impression. « 

Traverser le monde connu

Les artistes au programme, surtout des femmes, explorent le monde d’un angle différent. Sylvain Bélanger souhaitait présenter des pièces qui s’éloignent du monde connu.

photo: Valérie Remise

 » Ça se passe au delà de la famille et du Québec refermé sur lui-même, qui se définit par lui-même en se regardant lui-même. On a une coproduction avec le Centaur, une autre avec l’Afrique, du transhumanisme, de la science-fiction. On est dans des zones d’insécurité thématique. « 

La première pièce qui prendrait, et le conditionnel prend toute son importance ici, l’affiche en janvier, serait Nassara de Carole Fréchette, mise en scène par Sophie Cadieux et jouée par des acteurs d’ici et de Ouagadougou. Plus tard, Cyclorama de Laurence Dauphinais, fera le pont entre les francophones et les anglophones de Montréal. Inclusif, dites-vous ?

 » C’est une saison où l’on travaille avec des gens qui se situent en dehors de nos habitudes théâtrales. Nos autrices font preuve de courage en se demandant ce qu’il y a au bout de l’humanité et ce qu’il y a dans nos angles morts. »

La mort n’a d’ailleurs pas voulu de l’actrice miraculée Audrey Talbot. Elle raconte, dans Corps titan (titre de survie) sa reconstruction physique et mentale après un accident tragique qui a failli lui coûté la vie. Philippe Cyr met en scène.

Les oubliées

Pour sa part, Émilie Monnet ramène à la vie, Marguerite, Duplessis de son nom de famille, la première femme autochtone esclave qui a lutté juridiquement pour sa liberté, mais qui a été oubliée par l’histoire.

L’excellent duo, formé de Marie-Ève Milot et de Marie-Claude Saint-Laurent, va créer Clandestines, un texte sur l’avortement et un dossier qui n’est malheureusement toujours pas réglé en 2020 si l’on se fie à ce qui se passe, entre autres, aux États-Unis.

 » Dans i/O, note Sylvain Bélanger, Dominique Leclerc aborde le sujet du futur, via les mutations technologiques. C’est une fiction sur nous-mêmes qui, dans le fond, est déjà amorcée avec les données personnelles qui circulent, la dépendance au cellulaire, les greffes, l’intelligence artificielle. Notre identité humaine est rendue autre. « 

Dans le même ordre d’idée, mais en science-fiction, Marie-Claude Verdier explore l’avenir avec un personnage, le Seeker, capable de lire dans la mémoire des gens.

Autre sujet fortement réactualisé par la pandémie, la solitude : Mélissa Larivière a écrit et met en scène Maine Coon avec Louise Bombardier notamment. Et de son côté, l’artiste en résidence Olivier Arteau se penche sur la relation entre féminité et masculinité sous un titre surprenant, Pisser debout sans lever sa jupe.

 » C’est une saison qui me fait du bien parce que je n’ai pas l’impression de rester dans ma cour, conclut Sylvain Bélanger. Elle s’élargit au niveau culturel, artistique et intellectuel. Elle devient plus inclusive. Plein de gens qui y sont n’avaient jamais travaillé au CTDA. « 

infos: theatredaujourdhui.qc.ca