
Dans le cadre du 39e Festival international du film sur l’art, Philippe Cyr et Odile Gamache présente Le magasin, un projet interactif sans texte ni interprètes. Présentée en collaboration avec l’Usine C, il s’agit d’une œuvre fort intrigante, composée de capsules vidéos disponibles dès le 17 mars en ligne.
Réinventez-vous qu’elle disait! Comme si les artistes ne le faisaient pas depuis toujours. En fait foi tout de même ce beau projet, Le magasin, du metteur en scène Philippe Cyr et de la scénographe Odile Gamache, inspiré des changements profonds qui déchirent le tissu du commerce montréalais à cause de la pandémie.
Les deux artistes œuvraient déjà à une pièce quand la crise a frappé. En constatant les conséquences de la pandémie sur un lieu montréalais presque mythique comme la Plaza Saint-Hubert, Odile Gamache a eu l’idée de transposer leurs avancées dans des capsules vidéos scénographiques.
Le public pourra se procurer à très bas prix (entre 35 sous et quatre dollars) l’un, l’autre ou toutes les 12 capsules de trois è cinq minutes qui seront rendues disponibles le 17 mars sur le web. Pour en arriver aux captations, l’internaute passera à travers une plateforme qui détaille le concept que l’on peut qualifier d’expérimental.
» On se lance dans un médium qu’on n’a pas nécessairement abordé auparavant, avoue le metteur en scène Philippe Cyr qui souligne que la scénographe Odile Gamache est la véritable autrice du spectacle.

« L’idée de départ était de mettre en scène une scénographie vivante, sans texte ni interprètes, explique Odile Gamache. En résidence de création, on a testé des tableaux vivants de scénographie comprenant des objets en mouvement. L’inspiration vient de la transformation du commerce en ce moment et, plus précisément, de la Plaza à côté de laquelle j’habite. On y trouve énormément de locaux vacants. »
Les deux artistes ont recréé en studio des espaces de commerce de détail où les détails, justement, possèdent toute leur importance, voire leur beauté.
« Sur la Plaza, le soir, dit-elle, il y a des vitrines éclairées, isolées parmi celles qui sont éteintes, mais dont les néons n’éclairent bien souvent qu’un bout de tissu et un escabeau. En voyant ça, j’avais le goût de faire bouger le rideau du fond pour qu’une ombre traverse le local. Ces locaux sont devenus de petites boîtes tragiques d’une certaine manière. C’est quelque chose d’épeurant pour la ville. Avec Le magasin, on donne vie aux objets pour leur donner un chant du cygne. »
Pour sa part, Philippe Cyr a appuyé sa cocréatrice dans son écriture de récits visuels, un peu comme une autrice le fait avec des mots.

« Mon rôle est celui d’un metteur en scène avec un canevas inhabituel. Odile a mis des objets sur la table avec une séquence de mouvements et une logique d’apparition et de transformation. J’ai pris cette partition pour la rebrasser et la mettre en scène en essayant d’en faire émerger des sensations. Encore plus que d’habitude, nos rôles se sont entremêlés. »
Les deux complices n’en sont évidemment pas à leur première collaboration. Ils ont déjà semé sur leur route professionnelle plusieurs spectacles, et pas des moindres, comme J’aime Hydro, Le brasier et Prouesses et digestions du très redouté Pantagruel. Cette fois, la pandémie les aura amenés à investir d’autres disciplines.
« Cela a été déstabilisant de repenser la dramaturgie, avoue Odile Gamache, mais on a trouvé notre chemin dans des médiums qui ne sont pas les nôtres au départ: le web, la vidéo, la performance. Finalement, c’était très stimulant. Le théâtre peut servir d’autres médiums en entrecroisant les disciplines. «
« Le projet nous a donnés de l’air, poursuit Philippe Cyr. Cela nous a forcé à réfléchir d’une autre façon. La contrainte est difficile, mais le changement permet de prendre des risques, d’essayer de nouvelles choses. L’important c’est d’explorer ces nouveaux médiums. »
Les deux artistes ont visiblement pris plaisir à cette aventure. Philippe Cyr aime travailler en équipe sur des sujets « que je ne connais pas, sinon je m’ennuie assez vite. Pour moi, ce projet c’est un peu comme lorsqu’on jouait au « magasin » dans le sous-sol de ma maison d’enfance ».
Odile Gamache note que le travail avec lui est un « cadeau ». Il pousse toujours plus loin. Pour une scénographe, le fait de toujours approfondir les idées, c’est très stimulant. Philippe n’a jamais peur d’explorer ».
Leur singulier théâtre d’objets prend place au sein d’une danse mise en lumière par Julie Basse, accompagnée d’une conception sonore et musicale de Christophe Lamarche-Ledoux. Ont aussi collaboré : Roby Blanchard-Provost (programmation), Charlie-Loup Turcot (direction technique) Catherine Comeau (direction de production).

Enjeux sociaux
Le magasin est devenu un sujet traitant d’enjeux importants comme le commerce au détail, la vie urbaine, le tissu social.
« La vie en ville, dans nos quartiers, est en train de s’effriter, souligne Philippe Cyr. Notre ancrage émotif est remis en question. Il y a une vraie métamorphose dans nos façons de consommer, de parler aux commerçants. Je vais au Théâtre d’aujourd’hui tous les jours et je peux dire que la rue Saint-Denis, et ce n’est qu’un exemple, va très mal. Nos échanges se transforment et ce n’est pas que monétaire. On pousse la chose vers l’absurde dans Le magasin en « vendant » notre travail sur internet. »
Les commerces désaffectés, les tours à bureaux presque vides, les rues désertes. Que va-t-il advenir de Montréal?
« Est-ce que ces lieux vont devoir servir au résidentiel, au locatif ?, se demande Odile Gamache. Peut-on rêver de plus d’espaces verts. Ils auront peut-être besoin des artistes pour imaginer ces espaces vides. »
Le 39e FIFA se déroule du 16 au 28 mars en ligne, mais aussi au cinéma Impérial pour les projections du film d’ouverture Beijing Spring le 16 mars et de Comme une vague de Marie-Julie Dallaire, le 19 mars.
Le magasin sera inauguré le 17 mars.