POÈME DE LA SEMAINE

Petites joies maussades du bonheur obligatoire

dans un espace égocentrique concentré

qui confond le feu et le vent

étouffe l’affaire

impose sa loi

par-dessus les rythmes du monde aux abois

Petits paysages de guingois

avec des personnages rudes

dans tous les coins

du drame

évêques, femmes de loi

avec des mitraillettes

cercles et manies surfaites

gifles et tralala

Fauves insupportables

félins délicats

griffes offertes

dans le tas

Et les chiens qui attaquent

pour ne plus hurler de rage

Petites affaires et grandes humeurs

univers qui se tient là

énorme petit bonhomme

à la rencontre des autres

jouets et accessoires

incommensurables mais brisés

Fin du monde resplendissante

d’egos tapageurs

compétition épidémique

concours du malheur

celui qui s’en sort le mieux

le plus fort en gueule

sacré vainqueur

Hélène Monette, photo : Léa C.

Ce n’est peut-être pas le poème d’Hélène Monette le plus beau et le plus important de la grande artiste disparue en 2015, mais il contient un peu de tout ce qui constitue son œuvre: compassion, dénonciation, amour des enfants, des pointes d’humour et de lyrisme.

En outre, son dernier livre, disons-le, sa « fin du monde », possède la force d’un testament. Un ensemble de textes qui déconstruit les pires effets du capitalisme et de la « justice » sur les démunis en empruntant un ton indigné, toujours juste. Avec la une du recueil, elle, qui partait, voulait nous interpeller à propos des dangers qui nous guettent face à une nation d’avocats, de comptables et d’hommes d’affaires.

Et « chiffres », le mot final du dernier titre de l’ultime recueil de la poète ne peut que nous faire penser à cette année que l’on vient de vivre, un an de numéros rapportés quotidiennement dans les médias comme une litanie insensée, absurde. Une série interminable de chiffres qui étourdissent et cachent bien pire : les réalités bien réelles de la souffrance et de la mort.

Ô qu’Hélène Monette saurait, et sait encore, poser les vraies questions pour nous dire le caractère délétère de tous les pouvoirs qui ne savent que calculer, administrer, gérer… des chiffres!

C’est un testament fort qu’on peut ouvrir n’importe où pour constater, malheureusement, que les choses changent si peu et si lentement. Hélène Monette nous a laissés une œuvre immense, intemporelle, tant son regard a capté avec acuité l’égoïsme et l’aveuglement d’un monde sans cœur. Elle, en avait un très grand. On la lira encore longtemps en ressentant toujours les mêmes frissons.

À lire aussi son magnifique recueil Thérèse pour joie et orchestre (Prix du gouverneur général 2009) en hommage à sa sœur elle aussi emportée par la maladie.


Hélène Monette

Où irez-vous armés de chiffres ?

Boréal

132 pages