
Une rencontre surprenante. Le dramaturge Steve Gagnon, la metteuse en scène Édith Patenaude et la comédienne Guylaine Tremblay. Trois grands artistes de théâtre qui sortent de leur zone habituelle pour créer un solo à propos d’une femme qui s’est émancipée au fil des ans et des amitiés. Une enseignante qui redoute la maladie et la solitude. Forte et fragile à la fois.
Le comédien, metteur en scène et dramaturge primé, Steve Gagnon a entendu un jour la comédienne chevronnée Guylaine Tremblay, en entrevue télévisée, dire qu’elle aimerait jouer un solo sur scène. Il lui a fait une proposition illico presto par texto. La comédienne lui a répondu qu’elle aimerait que la pièce aborde la solitude des personnes malades ou vieillissantes. Voici donc Les étés souterrains, présentée à la Licorne jusqu’au 8 mai, mais qui affiche déjà complet.
« J’aurais pu lui écrire un rôle de femme dont les parents sont en CHSLD, explique Steve Gagnon, mais l’idée d’une maladie dégénérative est apparue rapidement dans nos conversations. Guylaine a connu des gens qui ont vécu ça. Moi, j’aimais l’idée de confronter deux solitudes, celle qu’on choisit et celle qu’on nous impose. C’est une femme affranchie, qui vit seule, en totale liberté, mais qui, malheureusement, est victime d’une maladie dégénérative. »
Les deux nouveaux complices ont aussi convenu prestement de confier la mise en scène à Édith Patenaude, Guylaine Tremblay souhaitant surtout travailler avec de nouveaux collaborateurs.
« Édith est une grande amie, confie le dramaturge. C’est une metteuse en scène d’une grande intelligence. Elle travaille avec minutie et n’a jamais peur de changer d’idée et de modifier sa mise en scène. Elle est très connue dans le milieu, mais je déplore que, dans les grands médias et à la télé, on ne l’invite pas, elle ou d’autres grands artistes de la scène. On est l’un des rares pays au monde où le public connaît si peu ses artistes de théâtre, de danse ou de littérature. »
Retouches?
Contrairement à Édith Patenaude qui a effectué des retouches à son travail, Steve Gagnon n’a pas senti le besoin de modifier son texte terminé en 2019 eu égard à la crise sanitaire, d’autant plus que la pièce parle beaucoup d’isolement. « On se questionne sur ce qu’on va écrire et créer après avoir vécu la pandémie, mais je crois que personne n’a envie de se faire raconter la crise en ce moment. Un peu magiquement, le show était assez pertinent comme il est là. »
Même s’il s’agit d’un solo, le personnage de Guylaine Tremblay parle constamment avec des amis français qu’on imagine avec elle. Situation que beaucoup d’entre nous ont envie de vivre à nouveau avec leur proches en ce moment. « Ce n’est pas que léger, note Steve Gagnon, il y a une tragédie qui traverse la pièce, mais c’est aéré. Le spectacle est plus savoureux qu’anxiogène. »
La majorité des scènes se déroulent en Provence où l’enseignante passe ses étés. À d’autres moments, on la voit en CHSLD où elle devra finir ses jours. Cet acronyme, évidemment, ne sera plus jamais perçu de la même façon au Québec après ce qui s’y est passé depuis un an.
« En même temps, fait le dramaturge, ça fait des années que la situation dans les CHSLD est dénoncée. Le mot était déjà lourd de sens. Pour cette raison, Édith n’a pas appuyé sur le côté champêtre de la Provence, ce qui aurait été un peu convenu. Elle ne tombe pas non plus dans le piège du misérabilisme que le mot CHSLD appelle. Elle a dosé le spectacle à la perfection. »
Langue et culture
Le dramaturge glisse aussi dans son texte d’autres éléments comme les questions culturelles et linguistiques qui différencient les Québécois des Français. Le spectacle célèbre l’amitié et la parole.
« Pour le personnage, la parole change le monde, permet de créer. Les Français fuient beaucoup moins le conflit que les Québécois. Nous, on s’excuse et on a peur de déranger. On ose moins débattre. C’est dommage parce que la confrontation permet d’avancer et d’évoluer. C’est plus présent dans la culture française. »
En ce sens, cette femme assume ses convictions et les affirme. Elle dit, dans la pièce, que la langue est affaire de maîtrise et non d’accent.
« On possède moins bien notre langue ici qu’en France. Ça ne veut pas dire qu’ils sont parfaits, mais ils sont, en général, plus articulés. Au delà de l’accent, c’est ce qui crée souvent notre complexe d’infériorité face à eux. Leur maîtrise de la langue leur permet d’articuler mieux leurs idées aussi. C’est en réfléchissant à voix haute et en discutant qu’on apprend à exprimer notre pensée. »
Le personnage de Guylaine Tremblay enseigne et sa maîtrise de la langue lui a permis, justement, de s’extirper d’un milieu conservateur et replié sur lui-même. Une femme telle qu’elle s’est faite.

Extrait de la pièce : « J’ai tout déconstruit ce qu’on m’a enseigné jusqu’à 16 ans. C’était n’importe quoi. J’ai tout réappris par moi-même. Sinon, je ferais cuire des pâtés chinois toute la journée dans une maison en plastique au fond de Charlevoix. Souvent, j’ai pensé « je suis née au mauvais endroit ». »
Plus léger
Steve Gagnon a entrepris d’écrire ce texte au moment où il finisssait Pour qu’il y ait un début à notre langue, présentée juste avant la pandémie, en janvier 2020 à Québec. Un spectacle dense et poétique très « frontal », comme il le décrit lui-même.
« À ce moment-là, je me disais qu’il fallait aérer parfois un texte pour que le spectateur puisse y entrer. Je veux continuer à faire ce métier en cherchant à rejoindre plus de gens. Mais il ne s’agissait pas d’écrire une comédie. Guylaine Tremblay est très rassembleuse et c’est la comédienne parfaite pour me permettre de faire ça. »
Le prochain spectacle ira dans le même sens, en étant « moins dur pour l’estomac ».