
Les solos au théâtre révèlent le vrai talent des interprètes. Tout le monde au Québec connaît ceux de Guylaine Tremblay. Mais encore faut-il qu’un texte, celui de Steve Gagnon, et une mise en scène, celle d’Édith Patenaude, offrent le bon plateau d’argent à l’éventail des qualités d’une grande comédienne. C’est ce qui arrive avec la pièce Les étés souterrains à La Licorne.
La Licorne nous a offert, ces dernières années, des solos mettant en lumière les formidables mérites de Micheline Bernard (Des promesses, des promesses) et de Marilyn Castonguay (Les filles et les garçons), notamment, toutes deux dirigées par Denis Bernard. Ici, c’est l’une des grandes metteuses en scène au Québec (même si on ne la voit jamais à la télévision, nous disait Steve Gagnon en entrevue) , Édith Patenaude, qui fait valoir la pleine mesure des compétences de la comédienne chouchou des téléspectateurs·trices québécois·es.
Un mur-écran, trois chaises, un fauteuil roulant, deux tables, des fleurs et des dizaines d’oranges. Le décor et les accessoires du spectacle Les étés souterrains laissent toute la place à Guylaine Tremblay pour déambuler entre les joies de l’amitié et les affres de la maladie, l’émotion suscitée par un parfum de lavande et la juste colère face à la misogynie, la force et l’exubérance de son personnage et sa dégénérescence physique graduelle.
Nous sommes devant une enseignante québécoise qui se délecte de ses étés en Provence avec ses amis français, le vin, les fruits et les fleurs. Une « constructrice » telle qu’elle s’est faite elle-même, d’abord, fière et indépendante, qui a passé ensuite ses convictions à sa fille qu’elle adore, et qui maîtrise sa langue et son franc-parler comme des éléments clefs de sa liberté et de sa pensée.

Tout au long de la pièce, de subtils et courts apartés nous indiqueront qu’une maladie, jamais décrite, la mènera vers son ultime point de chute, le CHSLD (mot qui n’est dit qu’une seule fois). Dans le contexte actuel qui est le nôtre, il n’en faut pas plus. Mais c’est là que le texte de Steve Gagnon, qui n’est pas exempt de petites incongruités à propos du personnage, gagne en importance.
Cette femme, peu à peu diminuée dans ses gestes et dans son élocution, reste, jusqu’au dernier mot du texte, d’un courage et d’une force qui font du bien à nos âmes pandémiques. Elle se remet en question, à savoir si elle a été une bonne mère et une influente enseignante de littérature, mais elle garde toujours le cap de l’espérance avec son énergie implacable. Un peu plus et on l’imaginerait presque faire le pitre pour égayer ses voisins en centre d’accueil.
Le texte aménage ainsi un espace assez vaste pour permettre à Guylaine Tremblay de faire rire et de faire réfléchir, souvent dans une même séquence. La mise en scène d’Édith Patenaude y ajoute ce qu’il faut de crédibilité et de richesse dans l’utilisation de la parole et du geste. Confinée souvent au trop petit écran, la comédienne peut ici jouer une partition beaucoup plus physique. Et sans souligner l’ironie de la chose, habituée à la télé, Guylaine Tremblay sait nous émouvoir tout autant, sinon plus, dans les passages projetés sur le mur-écran en fond de scène.
Tragédie
Même s’il s’agit là de la tragédie palpable d’une femme libre arrivant au bout de ses forces et de sa solitude, une situation que nous pouvons aisément comprendre en raison de la crise mondiale, et grâce à un remarquable travail d’équipe, Les étés souterrains font rêver.
Imaginez : le jus frais d’une orange tombée de l’arbre, sous le chant des cigales, la chaleur du climat et de l’amitié, la distanciation sociale de notre société nord-américaine avec laquelle on entretiendra toujours une relation d’amour-haine lorsqu’on constate la médiocrité ambiante… En présence d’une femme admirable comme motivatrice!
Le moins que l’on puisse dire c’est que l’attente, la présentation de la pièce ayant tété reportée plusieurs fois, aura valu amplement la peine. Tout comme, puisqu’elle affiche déjà complet, la patience sera récompensée en y assistant un peu plus tard. Pandémie ou pas.
