ARTS VISUELS: De la nature belle et bien « morte » de notre temps

Julien Boily est un artiste de la région du Saguenay-Lac Saint-Jean. Il a été le premier lauréat du prix d’Artagnan-02 remis par le centre Bang en 2016, bourse qui  permet à un artiste d’être mis à l’avant-plan et soutenu dans sa démarche de création par différents organismes du milieu qui lui permettront de rayonner. Son galeriste est la Galerie 3 à Québec. La présente publication, Julien Boily : de la nature morte à l’image numérique, est une première pour lui, mais fait partie des nombreux ouvrages édités par le Centre Sagamie d’Alma.

L’ouvrage consacré à la production relativement jeune de Julien Boily est de facture assez usuelle. Ce n’est pas là une critique négative, loin de là. Il manque d’ouvrages au but assez direct comme celui-ci, qui est de mettre de l’avant et de penser, surtout, autour des travaux d’un artiste, fut-il jeune ou de plus d’expérience. Cette publication remplit plus qu’adéquatement cet objectif.

On y trouve un tour d’horizon de la pratique de cet artiste, bien découpée en sections et chapitres qui cherchent à se coller au plus près du mûrissement de l’artiste. On y trouve un essai, un seul, étendu, écrit par Patrice Loubier, qui s’interroge avec à propos sur le sens à donner à ces travaux, en contextualisant ceux-ci dans un ensemble contemporain, dans un courant de pensée de la peinture actuelle.

Il le fait de manière assez surprenante, en évoquant plutôt l’apparente inactualité des premières prestations de l’artiste. On peut en effet de sentir un peu ébahis de voir un artiste s’adonner, en ces temps voués au numérique, à l’accumulation, au pastiche, aux mèmes et, surtout, à la trépidation des échanges et des créations virtuelles, à une technique qui requiert un temps long et une application méticuleuse, : la peinture à l’huile.

Mais il est vrai aussi que le résultat de cet engagement ne peut que saisir celui qui contemple les œuvres ainsi créées. Le laqué de ce type de peinture enrobe et révèle ici des assemblages assez contemporains. Sa série des enregistreurs VHS, dont les titres recueillent des noms de compagnie (Sanyo, Samsung et autres) se joint à d’autres qui montrent écrans d’ordinateur jumelés à des crânes qui semblent bien, de leurs orbites vides, absorbés dans la contemplation de ces moniteurs allumés.

Les couleurs, tonalités générales et autres objets montrés nous font classer ces œuvres dans la catégorie des vanités et natures mortes. Il est vrai que ce sont là des machines vétustes; des « serpuariens », comme le disent les publicités qui incitent à la récupération des ces rebuts de récente utilisation.

Cette inactualité est donc autant planifiée que l’a été l’obsolescence de ces objets. Elle est voulue et travaillée dans ce couplage inattendu d’une pratique de l’image remontant à fort longtemps, entendue comme devant relever d’une autre époque mais aujourd’hui appliquée à des objets dont la contemporanéité n’est pas si évidente.

Il ne faudrait toutefois pas s’arrêter seulement à cela. Julien Boily s’est aussi commis dans la sculpture et l’installation-vidéo. Ses dernières œuvres poussent encore plus loin le paradoxe et une certaine forme de remédiation, de reprise de la peinture et de ces genres anciens au goût et aux préoccupations de notre ère moderne.

Nous en convainquent ces Quelques motifs de synthèse, série récente de l’artiste. La démarche est à la frontière entre infographie et peinture. Il a cherché à provoquer la création de compositions virtuelles sur ordinateur au moyen de consignes, produisant des figures propres à interagir avec leur environnement. Réfraction, perspective, réflexion et d’autres paramètres en viennent ainsi à créer des images dont il fera des tableaux. Ces huiles sur panneau marouflé sont donc bien des peintures, mais dont les modèles sont des éléments virtuels.

Bref, cette publication, soignée et nécessaire, nous permet d’apprécier à sa juste valeur le travail de cet artiste qui revampe la peinture en la soumettant aux conditions de création et aux impératifs éthiques de notre époque.

Julien Boily : De la nature morte à l’image numérique

Textes de Patrice Loubier, préface de Audrey Careau

Éditions Sagamie, Alma, 2021

94 pages, couleur