
Cette semaine, Louise Warren et son tout premier recueil publié par Triptyque, L’amant gris, l’un des trois ou quatre meilleurs de l’année 1984, selon Michel Beaulieu. Depuis, la poète et essayiste a fait paraître une trentaine de titres, sans compter les livres d’artistes.
J’aurais aimé deviné ce titre,
L’espace du dedans, là se prolonge
mon désir long de dix mois, émergeant
sur des jours à merveilles :
toutes les deux nuits,
il dort dans le lit où je compte ce temps amoureux
sur chacun de mes doigts.
Je te demande encore une petite place, grosse
comme un bout d’ongle. Les mains blanches,
les joueuses de cartes se disputent un as de coeur.
Elles ont gardé leur chapeau rond
et rabattu leur voilette.
On ne peut plus distinguer
leurs yeux. Quand tu me regardes, je te fuis
souvent. Tu glisses sur ma ligne de khôl
et d’un battement de cils je me dépose
ailleurs : deux femmes, la même,
une à droite, l’autre à gauche du tableau. Sa tête,
ses bras, ses jambes coupées existent.

L’anthologie d’Henri Michaux, L’espace du dedans, a été publiée exactement 40 ans avant le premier recueil de Louise Warren. Le poète français dont elle retiendra, entre autres, ceci: « on n’est jamais seul dans sa peau ».
Louise Warren n’est jamais seule dans le poème. Les humains, les objets, les paysages, les tableaux jouissent aussi du regard amoureux d’une artiste attentive à la moindre sensation. Poète du mot plus-que-juste, justifié, juste à la bonne place aussi. Sa recherche du dépouillement face à l’intensité la mènera jusqu’à son plus récent recueil, qui date déjà d’il y a quatre ans, le plus petit espace. Des lettres minuscules qui n’enlèvent rien à son regard vaste et généreux. On retrouve cette magnanimité chez l’essayiste qui a créé, avec le temps, un véritable vade-mecum pour écrivain·e débutant·e, dans lequel l’écriture procède du même petit détail vibrant.
Il y a déjà tout ça dans son premier recueil, incluant son amour des arts visuels. Le désir et la peinture se confondent ici pour faire jaillir le temps amoureux entre des femmes jouant aux cartes et l’amant au bois dormant. La nature si chère aux yeux de la poète n’a pas fait sa place dans ce lit, mais ailleurs dans le recueil , elle emprunte les chemins du corps et de l’humidité du pays.
Louise Warren écrit comme si elle entrait et sortait d’un tableau avec, en main, des sédiments divers dont elle décrit les affects. Il est fascinant de la lire ici au début d’une magnifique carrière consacrée à saisir l’instant et l’intime interreliés avec tout ce qui les entoure.
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