THÉÂTRE: Cet univers entre la peau et l’infini

The Bakery – Skin. Photo : Merissa Tordjman

Du 21 au 23 avril, la webdiffusion de Skin de Leslie Baker, relève de l’événement. C’est une très belle réussite de cette présente saison écourtée. Coprésenté par le Théâtre La Chapelle et le Centaur, cette œuvre fait prendre l’air au théâtre pour s’apparenter davantage au vidéo d’art. Et c’est tant mieux.

On l’a dit et répété. Les webdiffusions ne sont pas du théâtre, un art qui exige des spectateurs en prise directe avec ce qui se passe sur la scène. Les créateurs de Skin ont bien compris que présenter un spectacle d’art vivant à l’écran relevait d’une toute autre discipline. Et ils ont pris les moyens et le temps de jouer avec ces paramètres afin de tirer le maximum du médium vidéographique.

Écran vert, images composites, voix hors-champ, surimpression, animation,… tout est mis de l’avant pour accompagner de courts fragments narratifs tout aussi hybrides, faisant penser parfois à des essais, des nouvelles ou de la poésie et qui sont explorés en utilisant la danse et la performance, surtout.

Au départ, une voix douce et hypnotique invite les spectateurs au « lâcher prise » afin d’atteindre l’espace intersidéral, vide et froid. Cette ouverture en méditation nouvel-âgeuse, faussement sérieuse, veut nous amener à voir le temps et la vie en dehors du corps, là où l’univers externe se confond à celui de l’intérieur.

Pendant que l’esprit voyage, le corps resté sur terre ne peut que ramper. On nous raconte l’histoire des trois petits reclus dans leur petite maison, rien à voir avec la fable des trois petits cochons, qui rêvent de voyager, mais en sont incapables. Le fin mot ici est que les reclus ne sont pas différents des autres humains, mais que la relation qu’ils ont avec les portes est différente.

Cet humour sympathique s’entremêle avec des scènes plus sombres, comme celle qui symbolise la vie comme un combat. Le personnage donne des coups à un ennemi invisible jusqu’à l’épuisement. Ce solo troublant rappelle la violence inhérente aux spectacles de Daina Ashbee.

SKIN©The Bakery.
 

Une chorégraphie plus ludique, basée aussi sur la répétition, est insérée ensuite comme intro à une chanson rock style années 80 et Blondie, porteuse d’un texte absurde plus proche des Talking Heads.

Un autre récit porte sur un immigrant de 100 ans qui vit surtout dans sa tête, confiné par l’indifférence et le mépris des autres. D’autres moments s’avèrent davantage philosophiques en parlant de la mort, le temps, court ou long selon l’âge, la présence au monde, le vide… En citant notamment Sénèque qui arrive sur scène au volant d’un tricycle. Le tuba qu’il porte au visage nous empêche de comprendre ses paroles, mais oh surprise! , les sous-titres viennent sauver la mise.

Cette création fort originale de Leslie Baker, avec Emma Tibaldo et Joseph Shragge, distille une certaine candeur tout en abordant des notions existentialistes. Skin possède une candeur et un humanisme à fleur de peau. Les images sont magnifiques, tout comme la musique omniprésente de Michael Leon.

SKIN©The Bakery.
 

Certaines transitions un peu abruptes n’enlèvent rien aux plaisirs que procure une production bien conçue et réalisée du début à la fin. Au point où l’on ne voit vraiment pas ce qu’une présentation sur scène aurait pu y ajouter. De plus, l’une des deux webdiffusions disponibles est accompagnée d’une interprétation LSA (Langue des signes américain), l’autre existant avec sous-titres français. Il s’agit du premier spectacle interprété en LSA à La Chapelle depuis le début de son existence, il y a trente et un ans.


Infos : https://lachapelle.org/fr/programmation/skin