THÉÂTRE: Jouer sa vie

Audrey Talbot dans Corps titan, photos: Valérie Remise

Les petites et grandes frustrations de la dernière année au travail, à l’école et à la maison ne sont rien si l’on compare ces peccadilles à la vie d’Audrey Talbot depuis 2013. L’actrice raconte l’accident qui a failli lui coûter la vie, alors, ainsi que le long et pénible chemin qui l’a menée sur scène, aujourd’hui. Corps Titan (titre de survie) est un récit de résilience au-delà des clichés et, même, de la fiction. Au Centre du Théâtre d’aujourd’hui jusqu’à dimanche et, en supplémentaires, les 14 et 15 mai.

Corps titan est le récit de la survie d’Audrey Talbot après un accident de la route qui aurait pu lui être fatal en 2013, un choc effroyable entre une cycliste, elle-même, et un camion poids-lourd. Écrit et raconté et joué par l’artiste en chair, en os et… en titane!

Elle avertit le public d’entrée de jeu que la pièce ne sera pas rigolote. Les premières minutes sont presque insoutenables tellement aucun détail ne nous est épargné quant à l’accident vu par les témoins, les ambulanciers, les policiers, etc. Tous et toutes tournent de l’œil devant l’état catastrophique de la victime, mais tous et toutes feront leur travail avec célérité et professionnalisme, ce qui aura des conséquences heureuses pour la suite des choses.

La démarche relève ici du théâtre documentaire, genre que connaît plutôt bien le metteur en scène Philippe Cyr (J’aime Hydro). Précis et spécialisé, le vocabulaire utilise, notamment le mot « déganté » pour décrire la jambe de la cycliste, ce qui dans le jargon d’Urgences santé signifie  « extrémité écrasée, mutilée, ou sans pouls ».

Audrey Talbot et Catherine Larochelle

De multiples chirurgies, impliquant l’installation de prothèses en titane, et encore plus d’épisodes de réadaptation seront nécessaires pour remettre la passionnée de théâtre sur pieds. Déterminée, l’actrice refuse de considérer une seule seconde, dès son retour à la vie et pendant de longs mois, ce que pourrait devenir son quotidien, c’est-à-dire vivre dans l’impossibilité de marcher, de danser et de jouer au théâtre.

Pourtant, elle fera tout ça pendant deux heures et vingt minutes sur la scène principale du Théâtre d’aujourd’hui, entourée d’une distribution inclusive et excellente: Francis Ducharme, Catherine Larochelle, Papy Maurice Mbwiti et Leni Parker. Les interprètes se partagent tous les autres rôles incluant les membres de la famille d’Audrey Talbot, les premiers répondants et le personnel du réseau de la santé.

La démarche documentaire, ici, c’est également Audrey Talbot qui, n’ayant aucun souvenir de l’accident ayant pu lui être fatal, part à la recherche de ce « vrai monde », ces rôles secondaires au théâtre, mais essentiels dans sa vie à elle. La bande sonore nous fait entendre quelques-unes de ces entrevues, ajoutant à la profondeur de ce projet de réappropriation de soi.

Francis Ducharme et Audrey Talbot

Sans suggérer qu’un miracle a eu lieu, le texte hyperréaliste souligne que c’est l’apport de chacun et chacune, ainsi que l’impatience, la colère, la foi en ses propres moyens et l’entêtement du personnage principal qui ont permis une fin positive à cette histoire d’horreur.

Philippe Cyr dirige de main de maître les interprètes en respectant une distance de prévention plus souvent qu’autrement. La mise en scène est dynamique quand il le faut et plus statique quand les mots prennent toute leur importance. Toutefois, le spectacle n’évite pas quelques redondances, notamment en raison des nombreuses reprises d’exercices de rééducation physique ou encore du récit de la fable des trois petits cochons qui n’apporte rien à notre avis.

Mais comment dire non à Audrey Talbot qui mérite notre entière et fraternelle admiration ? Voilà une artiste qui, sans nous faire la leçon, nous montre qu’un corps humain réduit à sa plus simple expression et qu’un esprit indestructible peuvent en arriver à déplacer des montagnes, à faire voler en éclat les prévisions les plus pessimistes, à déconstruire des idées ou des théories préconçues, scientifiques ou pas.

Audrey Talbot ne veut plus jamais entendre quelqu’un dire : « ah, je si fatigué, on dirait qu’un camion m’est passé dessus »… Nous non plus !