
Centre national des arts plastiques. © Succession Jean Paul Riopelle / SOCAN (2021). Photo MBAM, Jean-François Brière
Le Musée des Beaux-Arts de Montréal présente, jusqu’à la mi-septembre, l’exposition Riopelle : À la rencontre des territoires nordiques et des cultures autochtones. Au-delà de cette thématique bien circonscrite, cet événement permet d’admirer 110 œuvres du peintre, issues de la collection du musée et d’une cinquantaine de collections institutionnelles et particulières canadiennes, américaines et françaises. Elle comprend même deux œuvres majeures récemment restaurées. C’est dire combien elle parvient à excéder l’objectif d’abord suggéré par le titre et nous immerger dans l’imaginaire de l’artiste.
On aurait pu penser à une forme de récupération ou à un désir de se conformer à l’esprit de ce temps. Après tout, on sait bien que les Surréalistes se sont intéressés à des œuvres d’art brut, d’art naïf et que tout ce qui pouvait provenir d’un art africain traditionnel les stimulait grandement. Or, on savait moins qu’un semblable penchant les avait aussi amenés à s’intéresser à une certaine autochtonie.
Riopelle, il va sans dire, baignait dans cette atmosphère alors qu’il résidait à Paris. Il fait là-bas connaissance avec le collectionneur d’art Georges Duthuit, gendre d’Henri Matisse et grand spécialiste de l’art byzantin. Ce qui ne l’empêche nullement de consacrer du temps à l’art inuit et d’écrire son essai poétique Une Fête en Cimmérie, où lui et Matisse se penchent sur les rituels festifs de ceux que l’on appelle alors Esquimaux.
Mais ce n’est encore rien en regard de ce que lui apporte l’amitié de Champlain Charest, dont l’hydravion servira, au cours des années 70, à de nombreux voyages de chasse et de pêche dans le Grand Nord du Québec. Voilà pour le peintre l’occasion rêvée de devenir de plus en plus familier avec le monde imaginaire des Inuits. Le tout métissé des lectures que l’artiste a pu faire, les rencontres qu’il a pu avoir avec des Claude Lévi-Strauss, très en vogue à l’époque, et Marius Barbeau, chercheur aujourd’hui considéré comme le fondateur de l’anthropologie canadienne et québécoise.
C’est tout cela qui est documenté avec soin dans cette exposition. On plonge donc dans les arcanes du monde de l’art français, tel qu’il a été marqué par les Surréalistes, avec des témoignages de ces années passées par le peintre québécois à Paris. Puis, l’on passe à la période québécoise, d’abord marquée d’aller-retour à son atelier de à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, puis à son installation à l’Île-aux-Grues.
Cela fait un peu paradoxal de le dire ainsi, mais cette exposition, à l’aune d’une thématique bien précise, réussit tout de même à embrasser très largement le travail de Riopelle. De très nombreuses toiles y sont exposées et c’est à une véritable fête des couleurs et à une luxuriance du trait que le spectateur est convié.
Plus on y progresse, plus on se rapproche de l’objectif final. Pour ce faire, ont été ajoutées à l’exposition des œuvres historiques des communautés yupik, kwakwaka’wakw et tlingit, entre autres, et celles d’artistes inuit, contemporains; toutes servant à retourner aux sources probable de l’imaginaire de l’artiste. Le site du Musée va même jusqu’à offrir des capsules vidéo de personnalités artistiques de diverses origines, appréciant l’événement. Ils/elles sont Wendat, Atikamekw, Wolastoq , Inuk, Anishinaabe , Kanien’kehá:ka…
Au final, serpentant à travers ces œuvres diverses, ces documents, ces témoignages de sources inspiratrices, le spectateur arrive au pied des œuvres dites des ficelles. En celles-ci, c’est la composante majeure du jeu inuit appelé ajaraaq qui est mise à profit sur les tableaux de Riopelle.Ce jeu consiste à représenter, avec comme seul matériau une ficelle en boucle, des figures animales, des outils du quotidien, des parties du corps humain, ou encore des esprits.
Les figures en question sont évidemment souvent assez épurées, réduites à l’essentiel. Il est intéressant de penser que cette forme artistique et de loisir ait pu inspirer un peintre comme Riopelle reconnu par son art non-figuratif. Sans doute a-t-il été stimulé à l’idée de solliciter cette forme de jeu qui permet aussi de se mesurer au monde de l’intangible et du sacré.
C’est là une bien belle et grande exposition que nous présente le Musées de Beaux-Arts de Montréal. Lors de ma visite, je suivais une mère qui expliquait à son jeune fils de quoi parlaient ces œuvres. Je me suis pris à quelque peu envier celui-ci. J’aurais bien aimé pouvoir voir quelque chose d’approchant, dans mes jeunes années. Quelque chose qui aurait certainement représenté une expérience significative, qui m’aurait nourri l’imaginaire et rempli de fierté, exposé au destin singulier d’un maître de chez nous.

Riopelle : À la rencontre des territoires nordiques et des cultures autochtones, Musée des Beaux-Arts de Montréal, jusqu’au 12 septembre 2021