
La culture du viol. Ceux et celles qui ont encore peur de l’expression peuvent continuer à lire leurs journaux à potins. Pour les autres, c’est bel et bien du pouvoir des hommes sur le corps des femmes dont il est question dans La brèche (The McAlpine Spillway) (La brèche) de Naomi Wallace, fort habilement mis en scène par Solène Paré à Espace GO.
Comme la pièce dénonce les compagnies d’assurances et pharmaceutiques, elle n’a pas encore été présentée aux États-Unis. Sa première mondiale a eu lieu en version française à Avignon en 2019. Ici, la toujours pertinente Fanny Britt assure la traduction en français.
Que l’on parle de sexualité, de pharmacologie ou de sécurité individuelle, la domination du mâle se trouve à la base de tous les questionnements : l’avidité des patrons de compagnies hyper-lucratives, le louvoiement d’amis qui veulent supposément votre bien, des amoureux qui disent se mourir d’amour, mais qui assouvissent leurs plus bas instincts sans égard à l’autre… À la lumière de l’actualité, on pourrait ajouter les récents développements nauséeux sur le droit à l’avortement des femmes. Et non, ce n’est pas un autre sujet.
La brèche est une tragédie moderne brillamment écrite. En forme de spirale qui aspire sur son passage les supposément meilleures intentions du monde, mais s’enfonce toujours plus profond dans le cloaque des relations (in)humaines. Dans l’hypocrisie des communautés, ici américaines, dans les mensonges des puissants et des faibles, dans le machisme véreux qui ne voit jamais plus loin que sa queue.
L’action se déroule en deux temps, le presque présent adulte (années 90) et le passé adolescent (années 70), entre une fête qui a mal tourné et des retrouvailles occasionnées par la force des choses. Les souvenirs, les repentirs, les demi-excuses, et les illusions envolées des personnages distillent l’odeur nauséabonde de la perfidie.
Pourtant, en apparence, c’est l’amour fraternel le plus pur qui unit Jude et son frère Acton, c’est la virile amitié qui lie le jeune, brillant, mais frêle Acton à ses gorilles protecteurs Hoke et Frayne. On comprendra avec le déroulement du récit que ce dernier est amoureux de Jude en secret et que Hoke, riche entrepreneur, a toujours rêvé de la « posséder ».
Ce texte réaliste se base sur des échanges vifs et cinglants. Il présente quelques scènes comiques, mais surtout, donne en exemple de probité, de sentiments sincères et de résilience, Jude, la grande sœur, seul personnage qui ne rompt jamais, qui cambre, oui, mais qui se relèvera de tout. De la mort des invisibles parents de la famille, de la pauvreté, et même de la trahison.
Solène Paré fait un travail exceptionnel en liant le passé au présent dans un continuum de violence sourde et de lâcheté latente. Sa mise en scène comprend des moments magiques où l’arc dramatique expose la vérité en nous explosant carrément au visage. Comme elle l’avait fait avec Les louves il y a deux ans, elle dirige équitablement les interprètes – Ève Pressault, Alice Dorval (Acton), Valérie Tellos, François-Xavier Dufour, Jean-Moïse Martin, Rudi Loup Duperré et Gabriel Lemire – même si ils et elles affichent des expériences qui ne peuvent se comparer.
N’empêche, La brèche nous entretient d’un mal sociétal qui continue d’affecter et de brimer les femmes et de maintenir les hommes au-dessus d’elles. Ces personnages jouent à un dangereuse compétition, rien de plus américain que ça, qui veut que l’on se sacrifie par amour du « clan ». Aimer mieux ou « topper l’amour » de l’un·e envers l’autre. Rien que ça. Le mensonge suprême, nous dit Naomi Wallace.
Dans cet « amour » au top du top, cet amour imbattable, cet amour trop, on se ment à soi-même et aux autres. Et on cause des maux irréparables.

La brèche est présentée à Espace GO jusqu’au 26 septembre.