
Qui veut la peau d’Antigone? Certainement pas les trois membres de la compagnie La Sentinelle qui se branchent plutôt sur l’esprit du mythe pour en tirer des leçons contemporaines. Trois solos pour une seule héroïne. En commençant avec Tatiana Zinga Botao du 7 au 11 septembre à Espace libre.
Occupée, Tatiana Zinga Botao. Elle était au festival du Jamais lu tout récemment et elle enchaîne deux spectacles en autant de semaines, d’abord comme interprète pour (Qui veut la peau d’Antiogone ?) puis comme directrice de lecture (Lettres d’une Africaine) avant de s’envoler vers l’Europe pour une pièce… dont on ne peut rien dire pour l’instant. La Sentinelle éclaire plus loin que jamais.
Le spectacle présenté à Espace libre donne la parole aux trois membres du groupe – complété par Philippe Racine et Lyndz Dantiste – qui offriront chacun·e leur vision d’Antigone au cours des prochaines semaines. Le monologue de Tatiana Zinga Botao se base notamment sur ses propres valeurs féministes.
» Avec moi, c’est toujours féministe. On a fait un collage du texte. Sur scène je fais un monologue, mais on gardé tous les personnages. C’est une Antigone qui n’a pas d’âge, comme si elle revenait mille ans après, avec sa sagesse, pour raconter les événements qui l’ont menée à sa perte. »
C’est moins l’Antigone jeune et vengeresse qu’elle nous présente que celle qui a vu ce qui est advenu de l’humanité, un monde, dans le fond, qui a si peu changé. Les trois sentinelles sont partis du même collage de textes de Sophocle, Brecht et Anouilh, entre autres, mais en évitant les stéréotypes sexistes véhiculés par ces dramaturges masculins.
« On est dans le plus sensible. On parle notamment de la période où Antigone accompagne son père, Œdipe, dans la mort. Antigone n’est pas folle ni hystérique. C’est une simple femme qui veut changer les choses. Dans mon cas, je l’aborde comme si elle disait, « je reviens sur terre et c’est la même chose qu’avant, il faut que ça change ». Avec la COVID, on a tous vécu des événements extérieurs nous rappelant que nous sommes tous les mêmes face à la maladie et à la mort. La crise m’a permis de faire une introspection et de relativiser. »
« Je suis une comédienne noire, ajoute-t-elle, qui est née au Congo, a grandi en Belgique et qui a immigré ici. Donc, j’ai subi toutes sortes de discriminations, mais la pandémie a transcendé les discriminations. On a tous eu peur de mourir. Pour cette raison, l’histoire d’Antigone est encore plus criante d’actualité. On est tous sur un pied d’égalité. C’est maintenant qu’il faut se poser la question, si on reproduit les erreurs du passé, on n’avancera pas. «
Préoccupée, la comédienne l’est aussi. Elle a lu les Sophocle, Brecht et Anouilh et cie pour apprécier toutes les facettes de ce personnage mythique. Antigone, c’est la résistante universelle et intemporelle.
Comme dit la rebelle s’opposant à l’autocrate Créon : » J’obéis à une loi plus grande / cette loi d’en-haut qui n’a ni début ni fin / la loi de ceux qui aiment / qui n’a ni début ni fin / que pèse la loi d’un mortel / face aux loi immortelles ? Rien. «
Philippe Racine a effectué le collage des textes en dégageant une dramaturgie, mais les trois interprétations en sont différentes.
« Lyndz se l’est complètement appropriée, comme si l’humanité parlait à travers Antigone. Ça touche moins aux questions de genres. Philippe va presque au-delà de la performance. Il est dans une sorte de tête qui a 15 000 ans et qui, d’un coup, devient Antigone. »
Aux yeux de Tatiana Zinga Botao, s’approprier des classiques est une étape importante dans la jeune vie de La Sentinelle, compagnie d’artistes afro-descendants québécoise. Il y en aura d’autres.
« Je rêve de monter un Othello blanc alors que tous les autres personnages seraient noirs. On va dans ce sens-là. Mais pour l’instant, on affirme notre identité, c’est normal. »
Voir notre entrevue avec La Sentinelle : https://mariocloutierd.com/2020/09/24/theatre-sentinelles-debout/
Lettres d’une Africaine

Quand à Lettres d’une Africaine qu’elle dirige la semaine prochaine au Quat-Sous, il s’agit d’un collage de textes de femmes afro-descendantes mettant en vedette Anna Beaupré Moulounda, Leïla Donabelle Kaze, Sharon James, Nadine Jean, Mireille Métellus et Marie-Madeleine Sarr. Les représentations de ce spectacle ont été annulées l’an dernier en raison de la pandémie.
Le texte s’avère d’autant plus chaud que l’affaire Camara, qui a inspiré l’artiste au départ, est revenue dans l’actualité la semaine dernière avec la décision du juge Louis Dionne sur le comportement du système de justice face à l’innocenté. Après enquête, le magistrat a tranché : «Quant au profilage racial, nous sommes d’avis que, dans les circonstances particulières de cette affaire, M. Camara n’a pas fait l’objet d’un traitement différencié fondé sur sa race, sa couleur ou son origine ethnique».
« Ça secoue la communauté ce jugement, avoue Tatiana Zinga Botao. C’est incroyable. On ne pourra pas ne pas l’évoquer dans notre mise en lecture. Une chance que j’ai l’opportunité d’avoir une tribune pour en parler parce qu’il y a des jours où je me dis que tout ce qu’on fait ne sert à rien. »
Tatiana Zinga Botao, elle, avancera tout de même. Elle ne sera pas sur scène pour ces deux représentations puisqu’elle est déjà dans le futur, le sien propre et celui de La Sentinelle dont le regard anticipe un horizon qui transcende l’identité sexuelle ou la couleur de la peau.
Qui veut la peau d’Antigone ? est présentée à Espace libre. Du 7 au 11 septembre avec Tatiana Zinga Botao. Du 14 au 18 septembre avec Philippe Racine. Du 21 au 25 septembre avec Lyndz Dantiste. Des forfaits sont disponibles pour assister aux trois spectacles.
infos: espacelibre.qc.ca
Lettres d’une Africaine est présentée au Quat’Sous les 16 et 17 septembre.
Infos:quatsous.com