Claude Poissant aime se lancer des défis. En voici un de taille : adapter un texte célèbre de Franz Kafka, La métamorphose, au théâtre. Comment passer du livre à la scène quand les dialogues sont presque inexistants dans la version papier ? Sans flafla, en y mettant du sien et avec un bon acteur, Alex Bergeron, répond le metteur en scène et directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier.
Paru en 1915, la nouvelle La métamorphose de Franz Kafka a beau raconter la vie d’un homme enfermé dans sa chambre, Gregor Samsa, qui se transforme en insecte, cela ne donnera pas sur scène un théâtre gore au premier degré. Ce texte, Claude Poissant le connaissait très bien pour l’avoir lu il y a longtemps, mais il l’a hanté tout au long de sa carrière.
« En sortant de l’université, je me suis retrouvé au Quat’Sous comme membre du chœur dans une version d’Alexandre Hausvater titrée Métamorphoses. C’était très expérimental et ça m’avait marqué. Je me disais que j’allais y revenir un jour. À mon arrivée à Denise-Pelletier, je me suis demandé quelles œuvres du répertoire méritaient une adaptation. Je me la suis réservée. Sans tomber dans l’autofiction, j’ai trouvé dans La métamorphose quelque chose de ma très jeune enfance. C’ est une route intime que personne ne va voir à part moi. »
Hier et aujourd’hui, ce récit métaphorique parle surtout des changements qui affectent les gens presque à leur insu. La vie et les gens bougent constamment. Ça peut faire peur. Mais La métamorphose n’est pas que noirceur ; le texte comprend sa part de moments drôles et absurdes. Comme il peut arriver en temps de crise, en pleine Première guerre mondiale à l’époque de Kafka, ou celle que l’on vit maintenant.
Certes, Claude Poissant n’avait pas prévu la venue d’une pandémie mondiale quand il a commencé à adapter ce récit pour la scène. Mais il avoue que la pièce est porteuse d’enseignements sur la peur de l’inconnu qui peuvent faire réfléchir le public du Théâtre Denise-Pelletier.
» Ça ne me disait pas du tout de tomber dans le piège d’une pièce cinématographique avec effets spéciaux. La transformation est multiple dans la narration, l’inquiétude des personnages, leurs relations, etc. J’ai l’impression d’avoir raconté le même récit que celui de Kafka et les dérives que j’ai prises font en sorte que je ne dérange pas Kafka, mais autre chose. «

« C’est une historie intemporelle, poursuit-il. J’ai décidé de la situer au début des années 60 près de Montréal parce que ça se rapproche de moi. Mais à tout moment dans nos vies, il y a de ces événements qui nous transforment. On vient d’en vivre un gros du genre où les êtres humains ont vécu le confinement. Ça peut tous nous toucher à différents moments de notre vie. Cette histoire de Kafka, je l’aime trop pour pouvoir la raconter même si je le fais à ma manière. Sans trop mettre l’accent là-dessus, c’est la peur du changement qui fait agir les personnages comme ils le font et c’était le cas au Québec dans les années 60. «
Vu sous cet angle, Gregor Samsa n’est peut-être pas le plus malheureux des êtres vivants, mais plutôt un « révolutionnaire tranquille » qui apprend à aimer les temps nouveaux, alors que son entourage rejette tout ce qui n’est plus la norme. « Il dit à un moment donné : je m’accomplis », note le metteur en scène.
Il n’avait pas écrit une pièce depuis une vingtaine d’années. Sa vaste expérience l’a cependant aidé à savoir quel chapeau mettre, dramaturge ou directeur, selon la journée. Le fait de travailler avec un comédien comme Alex Bergeron, en Gregor Samsa, un grand amateur de littérature et de poésie, lui a permis d’y prendre plaisir.

» C’était formidable de chercher et de travailler ensemble. Pour moi, à certains moments, le chemin était clair, mais pour lui, ce ne l’était pas toujours. Comme c’est lui qui joue le rôle et le comprend, ça donnait lieu à de belles discussions à ce sujet. Au moins la pièce était écrite avant de commencer. Il était facile de faire revenir le « dramaturge » quand c’était nécessaire de clarifier certaines choses. «
Alex Bergeron est accompagné sur scène par Geneviève Alarie, Myriam Gaboury, Alexander Peganov et Sylvain Scott. Pierre-Étienne Locas signe la scénographie ; Marc Senécal, les costumes ; Renaud Pettigrew, les éclairages et Philippe Brault la musique. Des complices importants, souligne Claude Poissant, si l’on veut traiter de ce sujet en nuances, sans tomber dans l’exagération ou la caricature.
La métamorphose est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 16 octobre.