ARTS VISUELS : Ouvrir le chemin

BUSH Gallery (Gabrielle L’Hirondelle Hill, Peter Morin, Tania Willard) + les enfants, la famille, le territoire et les chiens, vue de l’exposition MOMENTA x OPTICA DIFFRACTION. DE LA LUMIÈRE ET DU TERRITOIRE, 2021. Matériaux divers.
Avec l’aimable autorisation des artistes. Crédit photo : Paul Litherland

Lors de notre dernière recension, nous avons couvert l’exposition de Bertrand Carrière. Elle faisait partie du programme satellite de Momenta. Biennale de l’image. La thématique principale de l’événement, Quand la nature ressent, a guidé le choix des commissaires Stefanie Hessler, Camille Georgeson-Usher, Maude Johnson et Himali Singh Soin. La présente exposition, Diffraction. De la lumière et du territoire, tenue à la Galerie Optica, est une des déclinaison de cette perspective englobante. Elle réunit les œuvres des artistes autochtones Gabrielle L’Hirondelle Hill, Peter Morin et Tania Willard, alliés sous la bannière BUSH Gallery.

On conçoit aisément la difficulté qu’il peut y avoir, pour des artistes autochtones, à faire en sorte qu’à des courants contemporains, qui ne peuvent que leur paraître étrangers, puissent se marier des formes d’expression en provenance de leur culture propre. Surtout lorsqu’on peut éprouver de la difficulté à en recoller les morceaux épars, tant celle-ci a pu être malmené par les suites de l’histoire coloniale des Amériques.

Un commencement de réponse, fort prometteur, est assuré par BUSH Gallery. Celui-ci y est allé d’un manifeste, d’abord écrit en anglais, puis traduit en langue secwepemcstín et en français pour les besoins de la présente exposition. On y apprend que BUSH Gallery allie pratiques expérimentales et travail communautaire. Aussi qu’elle est « perturbée, inauthentique, figurative et abstraite », qu’elle englobe tout et tous, qu’elle est « à vous et à moi et à personne » et que « c’est parfois rien d’autre que d’ouvrir les yeux et de s’imprégner du territoire qui nous entoure ».

BUSH Gallery (Gabrielle L’Hirondelle Hill, Peter Morin, Tania Willard) + les enfants, la famille, le territoire et les chiens,“Plants as[are] Monuments” (x3), 2021. Émulsion photosensible sur toile de tipi. Avec l’aimable autorisation des artistes. Crédit photo : Paul Litherland

On dira que ce n’est pas le premier manifeste à vouloir connecter l’art sur la vie et veiller à le sortir de catégories trop rationnelles. Mais cela va tout de même plus loin ici. Car il est question de résurgence et de retour à une pensée que l’on suspecte d’être quelque peu autre. Surtout BUSH Gallery est recherche d’une voix et d’une manière propre de faire de l’art.

C’est vraiment le moment pour ce faire car une porte s’est entrouverte, à la suite d’événements malheureux, pour faire entendre ce point de vue singulier. Il est vrai aussi qu’il en va aujourd’hui comme si l’éclectisme évident de l’art actuel, son ouverture aux manœuvres, performances, installations et pratiques transgressives de toutes sortes, formait un terrain fertile pour de telles initiatives.

À l’intérieur de ces modalités bigarrées, il est bienvenu, ce tâtonnement qui consiste à avancer vers une pratique communautaire, un art vivant qui parle aux êtres humains et qui les écoute. Ainsi va-t-on à leur rencontre pour chercher à savoir comment il serait possible de reprendre le cours d’une histoire tronquée par les conquêtes successives et répétées d’une civilisation arrivée en maître sur un territoire qui n’est pas le sien et qui est le théâtre de façons de faire que les arrivants n’ont pas cherché à comprendre.

BUSH Gallery (Gabrielle L’Hirondelle Hill, Peter Morin, Tania Willard) + les enfants, la famille, le territoire et les chiens, Grouse children shawl, 2021. Émulsion photosensible sur toile de tipi, satin, ruban de satin, plumes de tétras. Avec l’aimable autorisation des artistes. Crédit photo : Paul Litherland

Tout est là en fait : comment faire renaître ce qui a été muselé par l’histoire, comment donner le pouls de pratiques anciennes qui ne se disaient pas artistiques comme nous pouvons l’entendre aujourd’hui, qui n’étaient pas des manières de faire qui avaient un statut spécial, séparé des autres aspects de la vie.

Aussi, verrons-nous dans cette exposition le témoignage d’une présence au sein d’un territoire. Les œuvres ont été produites lors d’une résidence une résidence à Secwepemcúl̓ecw, dans la communauté d’origine de Tania Willard. Les pratiques sont diversifiées pour rendre compte de cette expérience et pour témoigner d’une sorte de décalage à expérimenter et à outrepasser : celui qui pourrait exister entre médias actuels et considérations culturelles de nations ostracisées et pourtant plusieurs fois millénaires, encore et toujours gardiennes du territoire.

BUSH Gallery (Gabrielle L’Hirondelle Hill, Peter Morin, Tania Willard) + les enfants, la
famille, le territoire et les chiens, The washing up, 2021. Vidéo numérique, 2 min.

La vidéo voisine donc des œuvres photographiques aux allures anciennes, montrant des épreuves réalisées par contact direct, des images couchées sur des textures rugueuses, toiles en provenance de tentes, dirait-on, et faux aérosols convertis en propagateurs de prières et de respect. Toutes, ou presque, sont des œuvres témoignant de l’effet de la lumière sur les choses, alliant photosynthèse des plantes, tissus teints, altérés, et pratiques photographiques anciennes.

Les artistes ont fait œuvres de ce qui a été et est encore expérience du vivant, état du territoire. Les travaux montrés ici ne sont pas une fin dernière et ils existent en relation étroite avec les expériences passées et à venir. Ils existent à travers le prisme du vivant de la lumière et de ce qu’elle imprègne, pour rappeler les effets revitalisants qu’elle a sur le territoire même.

BUSH Gallery (Gabrielle L’Hirondelle Hill, Peter Morin, Tania Willard) + les enfants, la famille, le territoire et les chiens, vue de l’exposition MOMENTA x OPTICA DIFFRACTION. DE LA LUMIÈRE ET DU TERRITOIRE, 2021. Matériaux divers. Avec l’aimable autorisation des artistes. Crédit photo : Paul Litherland


Bush Gallery : Gabrielle L’Hirondelle Hill, Peter Morin, Tania Willard, Diffraction. De la lumière et du territoire, Optica. Centre d’art contemporain, du 8 septembre au 23 octobre 2021

Manifeste en anglais : https://www.cmagazine.com/issues/136/bush-manifesto

Manifeste en Secwepemcstín (version d’origine), en français et en Kanien’kéha :

https://www.bushgallery.ca/pages/manifesto

Pour télécharger le version française :

https://www.dropbox.com/s/wclq04ioaa1vu1x/MOMENTA%202021%20-%20Banni%C3%A8res%20Bush%20Gallery%20FR%20WEB%20_%20FINALPROD.pdf?dl=0

Exposition présentée dans le cadre de : Quand la nature ressent

Commissaire : Stefanie Hessler, en collaboration avec Camille Georgeson-Usher, Maude Johnson et Himali Singh Soin

MOMENTA. Biennale de l’image