LITTÉRATURE : S’éco-organiser

Mis à part ceux et celles qui en profitent le plus, y a-t-il encore des gens qui croient que la croissance infinie est possible sur une planète qui ne deviendra pas plus grande comme par magie ? Pour une écologie du 99 % critique, propose et organise la résistance. Les choix et gestes individuels ne seront pas suffisants pour sauver la Terre et ses habitant.e.s, concluent les auteurs de ce livre engagé.

Voilà, se dit-on au sortir des 130 premières pages, un livre bien déprimant!

On se sentait quelque peu gonflés à bloc avant de le lire. Les développements de l’éolien d’Hydro-Québec, l’engagement du gouvernement du Québec à n’avoir sur nos routes que des voitures électriques, la disparition progressive de fournaises au mazout à Montréal, des initiatives citoyennes ou de société en faveur de réduction de déchet ou d’objectif plastique à usage unique : tout cela créait de l’espoir et pouvait nous inciter à voir l’avenir avec de meilleures perspectives. Mais, sachez-le, tous ces efforts ne valent que dalle en regard de ce que de grands ensembles industriels manigancent depuis plus de 40 ans en termes d’expansion capitaliste.

On sort des premiers 10 mythes et c’est le constat que l’on se doit de faire. Mais il faut continuer. On croyait d’abord que cela en resterait là. Que nous serions jusqu’à la fin conduits de désillusion en désillusion. Mais non! Cette première partie porte le titre de « Critiquer ». On poursuit en entamant la deuxième 2, celle où il s’agit de « Proposer » et on reprend du poil de la bête. On finira par « Organiser » et par conclure.

La scansion de l’essai en ces 20 mythes n’est pas la seule modalité qui tienne lieu de format et de piste de construction de ce livre, donc. On s‘achemine tranquillement tout au long vers des pistes de solution, des voies de sortie de notre contemporanéité menacée par la crise climatique. En plus, chaque chapitre, un par mythe, se clôt sur un encadré portant le titre « À retenir ». Le livre navigue ainsi avec efficacité entre l’essai, la démonstration éloquente, lestée d’arguments solides, et la pédagogie.

En premier, disons ceci. Nos efforts pris au niveau strictement individuel, ne suffiront pas. On peut bien s’efforcer de toujours être écoresponsables dans nos choix de vie et d’achats. On peut bien se renseigner jusqu’à plus soif avant d’acheter; ce ne sera pas assez. Plus encore, ce faisant, on reste dupes d’une consommation verte qui tient plus du greenwashing qu’autre chose. En fait, il semblerait bien que toute cette de plus en plus grande disponibilité de produits verts et écologiquement sains de la planète n’est en rien le gage d’une réelle transition. Ils s’ajoutent à ce que nous consommons globalement et continuent de nourrir cette réalité que nous le faisons au-delà du raisonnable.

Honte sur nous, se dira-t-on alors!

Mais cette culpabilité ne mène à rien. Ce n’est pas au niveau individuel que cela se passe vraiment. C’est au niveau collectif et la situation actuelle, au plan écologique, résulte d’un certain type de développement économique frappée du sceau du « toujours plus », de l’expansion infinie de l’exploitation des ressources et, partant, de celle, entretenue sciemment, des besoins que nous croyons avoir. Et d’un déséquilibre criant entre les nantis de ce monde (le 1%) et le reste de l’humanité (99%) dont certains, des chanceux dont nous sommes, vivent dans l’orbite de cette abondance obscène.

Besoins réels vs profits exponentiels

Nous serions tous, évidemment à des degrés très divers, les opprimés des richissimes. Puisque tous, mais pas également, des victimes actuelles ou à venir du réchauffement climatique. Les exemples, offerts en ce livre et résultats d’une observation minutieuse de l’actualité, sont criants. Je ne vous gâche certes pas la lecture en vous en proposant quelques-uns. À elles seules, 20 firmes sont responsables de 35% de l’ensemble des GES depuis 1965. Depuis qu’a commencé le 21è siècle, 90 compagnies le sont des deux tiers de ces émissions. Un seul milliardaire émet, quant à lui, fort de sa flotte de véhicules de toutes sortes et des propriétés diverses, l’équivalent des émissions de 7,000 voitures utilisées pendant un an.

Les auteurs en resteraient là que nous sortirions de cette prise de conscience profondément affligés, prêts à capituler. Tout y concourt tellement. Devenons collapsologues! Mais cet essai est bien tourné et bien pensé en ce sens qu’il nous achemine tranquillement de l’afflux d’informations décourageantes, nécessaires à notre compréhension de la situation toutefois, à des observations quant à nos réactions possibles à cet état des choses.

La conclusion vient clore ce cheminement. Elle nous propose des pistes. Car il faut forcer ce mode économique, capitaliste et élitiste par essence, à une révision complète. Trois perspectives nous sont suggérées au final. Il s’agit de développer des espaces économiques autonomes, centrés sur les besoins des individus et des communautés plutôt que sur les exigences de rentabilité excessive des actionnaires; d’organiser la résistance par le biais des mouvements sociaux et de voir les plus possible de partis verts et démocratiques prendre le pouvoir. Ou, à tout le moins, exercer leur pouvoir dans l’opposition de manière soutenue et constructive.

Voilà ce qui pourra faire entendre une alternative crédible, complète, à ce qui deviendra, sinon, une catastrophe qui se déroulera lentement et accentuera à l’extrême les inégalités de ce monde!


Frédéric Legault, Arnaud Theurillat-Cloutier et Alain Savard

Pour une écologie du 99 % – 20 mythes à déboulonner sur le capitalisme

Éditions Écosociété

296 pages