ARTS VISUELS : La plastique des sens

Vue partielle de l’exposition Configurations du sensible de Béchard Hudon, Salle Alfred Pellan de la Maison des arts de Laval, 2022. Photo : Richard-Max Tremblay
 

Le duo composé de Catherine Béchard et Sabin Hudon s’emploie depuis un bon nombre d’années à représenter, dans des machines élaborées, ce qui frappe nos sens au plan perceptif. Mouvements et sonorités reproduites servent donc à présenter une plastique en action de ce qui ne nous surprend plus tant cela est quotidien. Le monde bouge et résonne et c’est donc à ce niveau, au ras de ces modalités les plus usitées et normales de ce qui se meut que ces deux artistes veulent poursuivre leur exploration.

Ce sont trois œuvres qui nous attendent à la Salle Alfred-Pellan à Laval. Les Mécanismes de dessaisissement (2019-2021) se présentent à notre gauche. Ils attirent immédiatement l’attention de qui entre dans l’espace. Structures complexes au nombre de trois, composant ce premier ensemble, elles offrent la même base éclairée à la motilité de figures géométriques simples, essentielles.

Ces figures sont d’ailleurs marquées sur le mur et c’est au centre de celle-ci que se déploie le dispositif. Au sein de ces carré, triangle et cercle, une même forme, peinte d’un blanc vibrant, se détache. À nouveau, sur celle-ci, deux autres semblables conformations se distinguent. L’une est au fond et elle est en noir, blanc et gris. L’autre, à l’avant-plan, est colorée : bleu pour le carré, rouge pour le triangle et vert pour le cercle. À certaines extrémités de ces configurations, des tiges lumineuses dirigent leur éclairage sur le carré blanc, illuminant les structures depuis l’arrière, par réfraction.

Mais ces tiges sont aussi là pour les animer, les faire insensiblement, glisser l’une sur l’autre, la colorée sur la plus grisâtre, aidés en cela d’un détecteur de mouvement leur permettant de réagir à la présence du regardeur. Comme les couleurs, sur l’une comme sur l’autre, ont été appliquées de manière à composer des traits finement dessinés, il s’ensuit de ce mouvement que les hachures de dessin semblent se mouvoir.

Béchard Hudon, Mécanisme de dessaisissement (triangle), 345 x 345 x 76 cm, 2020, sculpture murale cinétique. Photo : Richard-Max Tremblay

Il en va un peu comme si ces artistes avaient résolu de compléter le mandat que s’étaient donnés les Plasticiens québécois des années 50 en ajoutant le mouvement à l’essentialité des outils de la représentation. Le mouvement des composantes de ces œuvres active celui, plus latent, qui se tapit dans les couleurs et dans le dessin des formes élémentaires. Car tout est motile, dans l’univers. Tout peut s’adresser aux sens. Il s’agit de savoir débusquer les manifestations du sensible. Éprouver ne se réduit pas à contempler l’immuable; le mouvant aussi est à explorer. C’est ce que font ces artistes.

La mouvance est ainsi ondes et, comme telle, affaire de son. Aussi, la structure centrale de cette exposition, intitulée L’en-deça (2022), est du registre de l’audible. On ne le dirait pas à voir ces deux pièces en « L », sises en pans inclinés, permettant de passer comme entre des glaciers, mais voilà un ouvrage pour accueillir des résonances. Derrière ces murs, des transducteurs communiquent aux structures des échos sonores. Hydrophones et géophones ont permis de faire une récolte des sons de la mer et de la terre, entre Sept-ïles et Kegaska. Ceux-ci, bruits d’oursins, d’ondes terrestres ou d’origine inconnue, retentissent maintenant en galerie et s’offrent aux visiteurs qui pénètrent dans cet estuaire en contreplaqué.

Vue partielle de l’exposition Configurations du sensible de Béchard Hudon, Salle Alfred Pellan de la Maison des arts de Laval, 2022. Photo : Richard-Max Tremblay

La troisième œuvre est une projection vidéo présentée en une boucle qui fait 32 minutes. Le Fleuve, 50° 11′ 53,8” N., 66° 4′ 10″ O. (2022) montre des images captées à la Pointe à Moisie, là où les eaux de la mer se confondent avec celles du fleuve. En fait, il s’agit d’un bassin d’images et les flots apparaissent ainsi stylisés, se répétant en ondes qui font échos à celles de L’en-deça. La contemplation que l’on en fait, sur le long temps que propose la projection, vire bien vite à l’expérience hypnotique.

Catherine Béchard et Sabin Hudon apparaissent ainsi comme des artistes à la quête de ce qui se meut. Persuadés que le mouvement doit être représenté et investigué, ils en traquent les manifestations dans tout ce qui peut bien être de semblable nature ondulatoire. En cette occasion, ce sont à travers figures essentielles, ondes sonores et flots continus de l’aqueux qui font l’objet de leur attention. Car il doit bien y avoir quelque chose à tirer du mouvement. Se mouvoir est tout de même une manière des corps d’habiter l’espace dans le temps.

Béchard Hudon, Le fleuve, 50° 112 53,8” N., 66° 42 103 O., Vidéo monobande, 32 min (en boucle), 2021. Photo : Jean-Michael Seminaro

Béchard & Hudon                                                                                                                                        CONFIGURATIONS DU SENSIBLE

Salle Alfred Pellan de la Maison des arts de Laval, Laval
20 février – 16 avril 2022
Commissaire : Aseman Sabet