LITTÉRATURE: Grandir ensemble

Étienne Beaulieu nous offre cette année son plus récent essai, Le Rêve du ookpik. Il compte jusqu’à présent huit livres qui sont essentiellement des études savantes et des essais. Ce dernier genre littéraire, mode libre par excellence, semble bien convenir à celui qui s’est fait aussi connaître comme cofondateur des cahiers littéraires Contre-jour, directeur des Éditions Nota Bene, et directeur de la programmation des Correspondances d’Eastman.

Le Candide de Voltaire, revenu de toutes les expériences vécues, en venait au final à cette maxime, maintenant connue : « Il faut cultiver notre jardin ». À lire Le Rêve du ookpik d’Étienne Beaulieu, on l’imagine sans peine agréer à celle-ci. Si ce n’est qu’il faudrait en altérer quelque peu la teneur et affirmer plutôt qu’il faut explorer notre terreau. Le titre prend sa source dans une petite peluche, représentant un hibou arctique, offert par un père silencieux, aimant du Grand Nord et bourlingueur en ces vastes espaces.

C’est le point de départ des nombreuses facettes d’une réflexion qui va passer d’hier à aujourd’hui, en cet ici et en ce lieu qu’habite l’écrivain. Là où la vie, et des décisions personnelles, une histoire singulière, comme les nôtres le sont toutes, a mené l’essayiste. En ces histoires, nous nous reconnaissons. Car c’est la relation d’un rapport à notre territoire et à notre histoire. Il apparaît rapidement qu’il faut réexaminer la seconde pour mieux comprendre et résider là on on est actuellement, à ce point du temps et de l’histoire où nous en sommes.

C’est donc à un chassé-croisé que nous sommes invités. Conscient qu’à force d’avancer dans le fil de ce qui est raconté, l’auteur en viendra à découvrir lui-mêmes des choses que lui révéleront les mots et le fait de les livrer à tous. Car c’est ainsi qu’on progresse avec l’essai, surpris de découvrir le site où l’écriture nous a finalement amenés.

Chassé-croisé donc entre le temps qui est le nôtre, temps d’une expérience de notre territoire tel qu’on le fait au long de notre vie, de lieux en lieux découverts, explorés, visités. C’est un retour en enfance au chalet du Lac-Aux-Sables, dans Portneuf; une randonnée familiale dans les Monts Valins; une autre en solitaire dans les sentiers escarpés de l’Acropole des Draveurs, en Charlevoix; l’évocation du triangle estrien au sein duquel l’auteur habite maintenant.

À travers tout cela, qui est de l’ordre du personnel et du sensible, de ce qui nous fonde et nous forme, il y a les parties consacrées à ce que la culture et l’histoire a pu nous apprendre au cours de notre vie. On se plaît à lire ces commentaires sur des œuvres de différents médias, cinématographiques, littéraires, plus ou moins récentes, qui trahissent et façonnent à la fois ce que nous pensons sans le savoir vraiment, de ceux qui étaient ici avant nous et qui ont une relation plus profonde que la nôtre avec le territoire. Au final de certains chapitres, nous apparaissent aussi des reproductions d’œuvres d’art atteintes des mêmes stigmates de notre ignorance.

Culture autochtone

Mais peut-être que le coeur de cette entreprise est ailleurs. Dans les chapitres où l’auteur revisite l’Histoire, la prend autrement que ce que l’on peut en connaître aujourd’hui, depuis une perspective qui tente de mieux comprendre de quoi cette culture autochtone, dans tous ses états différents, toutes ces nations différentes, peut bien être constituée. Dès lors, les choses prennent un sens autre.

Il s’en prend même, mais pas trop méchamment, à cette greffe de mémoire que peuvent représenter deux réflexes québécois. J’ai nommé, après lui, bien entendu, le fait de tant insister sur l’existence des coureurs des bois, leurs dérouines et ce qui a pu en résulter, c’est-à-dire ce métissage dont tout bon Québécois s’imagine être le fin bout.

Il est vrai qu’il peut sembler y avoir quelque chose de vaguement indécent à trop insister sur cette part de l’histoire qui témoigne d’un échange. Dont l’un des négociants a tout de même plus eu à gagner que l’autre, il faut le dire. Comme si on cherchait un peu trop de ce côté, auprès des nations autochtones, un début d’absolution collective.

Il n’en reste pas moins qu’on gagnerait à cette mise en commun d’une histoire partagée, dans ses bons comme dans ses moins bons aspects dont il faudra bien un jour faire le compte final. Qu’on ne peut que réussir à grandir ensemble en tablant sur ce qui fut un temps commun. Et sur ce qui l’est encore : à savoir ce territoire que nous habitons et dont il y a encore beaucoup à apprendre auprès de ceux qui l’ont arpenté bien avant nous. Il y aurait sans doute à gagner un avenir, par ce qui pourrait alors être qualifié de greffe de destin. Mais ensemble.


Étienne Beaulieu

Le Rêve du ookpik

Éditeur Varia, Collection Proses de combat, 2022

171 pages