CIRQUE : Non genré et engagé

Muse de Flip Fabrique, photo: Emmanuel Burriel

Flip Fabrique présente un rare spectacle de cirque non genré, voire engagé, avec Muse. La troupe de Québec fête ses 10 ans en s’aventurant avec bonheur dans des sentiers peu explorés par l’art circassien où les modèles sexuels ont traditionnellement toujours été très campés. À la TOHU jusqu’au 13 novembre.

Le plaisir n’a pas de genre. Et c’est bien vrai lorsqu’on pense à Muse de Flip Fabrique. Ce spectacle à la fois rigolo et engagé montre que la force n’est pas qu’affaire d’hommes et la sensibilité qu’une réduction simpliste du corpus féminin. Au-delà des stéréotypes et des préjugés – uniformes de football par ci et tutus par là – avec lesquels les sept acrobates – quatre femmes et trois hommes – jonglent, surgit cette image très forte de la Belle au bois dormant, sentant que le prince va l’embrasser, qui crie à pleins poumons, NON!

Depuis des années, le mouvement #metoo a tracé une ligne et elle continue d’être assumée par toutes et tous chez Flip Fabrique. Bien sûr, un spectacle de cirque ne changera pas le monde, mais il est clair que ce champ artistique autrefois très sexué évolue aussi. Les responsables de la mise en scène, Sophie Thibeault et Maxime Robin, en sont conscients quand ils construisent le fil narratif du spectacle. Le fondateur de la compagnie, Bruno Gagnon, signe la direction artistique.

C’est évidemment fait avec un sourire en coin. Aucune mesquinerie pas plus que de banalisation de gestes équivoques. Le tout se déroule dans la bonne humeur, accompagné de la musique techno-hiphop-reggaeton de Millimetrik. Une chanteuse, Flávia Nascimento, accompagne également l’action de sa voix chaude. La scénographie avec son immense fond blanc et ses structures métalliques multi-usage de Vanessa Cadrin est aussi à souligner.

L’écran derrière la scène permet également de projeter des citations de Gloria Steinem, Nathalie Portman et, surtout, Rébécca Déraspe qui ajoutent une perspective féministe au sérieux de de la démarche.

Arts circassiens

Les arts circassiens ne sont évidemment pas en reste dans cette production nouveau genre. Comme c’est presque devenu la norme en cirque contemporain, la polyvalence des interprètes – Jérémie Arsenault, Thomas Chamber, Hugo Duquette, Anne-Marie Godin, Frédérique Hamel, Evelyne Paquin-Lanthier et Léonie Pilote – explose sur scène. En fait foi l’utilisation d’acrobaties, danses, comédie, jonglerie et instruments divers. Toutes et tous étirent le champ de leur spécialité avec brio.

Les numéros de diabolo, de corde à danser et de trapèze sont particulièrement originaux et démontrent un grand degré de difficulté. Toutefois, il existe une baisse de régime, acrobaties au sol, qui vient briser le rythme endiablé juste avant le numéro final.

Ces numéros moins spectaculaires servent cependant à une transition nécessaire permettant l’installation du trampoline et du mur, la spécialité de Flip Fabrique. Ce numéro collectif de trampo-mur ne déçoit point avec son jeu, à nouveau, sur les genres et l’utilisation d’une partie de mur à angle qui ajoute à la difficulté des acrobaties.

Le mot est lancé. Angle. Tout est affaire d’angles et de points de vue dans ce spectacle intelligent et divertissant. La signature circassienne de Flip Fabrique est là, entourée de notions aidant la réflexion, sans crayon gras ou lourdeur théorique. Muse vient réitérer de nouveau toutes les potentialités du cirque contemporain. Le combat des sexes a eu lieu, maintenant célébrons les différences.


Muse est présenté à la TOHU jusqu’au 13 novembre. Du 9 au 12 novembre, au même endroit en fin de soirée, il sera également possible d’assister à la conclusion de 15 ans de pratique commune entre Maxim Laurin et Ugo Dario (Machine de cirque) qui nous offrent Ghost Light : entre la chute et l’envol.