

Mélanie Demers met en scène sa toute première pièce de théâtre, Déclarations, un texte du réputé dramaturge et écrivain canadien Jordan Tannahill. Pour ce faire, la choréagraphe s’est entourée d’une équipe toute étoile, dont cinq interprètes appelés à bouger autant qu’à jouer. Cet hommage à la vie a été inspirée par la mort de la mère du dramaturge qui vit maintenant à Londres. Au Prospero dès le 1er novembre.
À 34 ans, le romancier, dramaturge, réalisateur et metteur en scène Jordan Tannahill compte déjà 14 publications, fiction et essais, à son actif en plus d’avoir remporté deux Prix littéraires du Gouverneur général. Son premier roman, Liminal (La Peuplade), a reçu en France le Prix des jeunes libraires l’an dernier. Ce fier opposant à la monarchie vit maintenant à Londres.
La première partie de sa pièce Déclarations est une litanie d’affirmations commençant toutes par le mot « voici » qui doivent être accompagnées par un geste sur scène. Avec cette expérience de théâtre, Mélanie Demers, n’a pas hérité d’un texte facile, qu’elle décrit pourtant comme une « offrande » du nouveau directeur artistique du Prospero Philippe Cyr. En fait, la chorégraphe était sans doute la mieux placée pour diriger des interprètes en danse et en théâtre.
» La mécanique de la mise en scène est partie intégrante de l’œuvre, explique-t-elle. Ça prend une intelligence du texte, mais aussi une intelligence physique afin de comprendre le système dans lequel les interprètes s’introduisent. La narration est éclatée, le texte en fragments, avec beaucoup de didascalies, ce qui ressemble à ce que je fais en danse. Il y a beaucoup de théâtralité dans mes chorégraphies. »
La metteuse en scène a échangé au préalable avec Jordan Tannahill qui s’est montré ouvert à ce que son texte soit monté différemment. L’artiste canadien tenait cependant à deux contraintes importantes, soit que les paroles soit accompagnées d’une partition gestuelle et que les interprètes n’apprennent pas le texte qui sera projeté sur téléprompteur.
« C’est pour créer cette sensation de la découverte du texte et de la gestuelle tous les soirs. C’est immense comme contrainte, avoue Mélanie Demers. Pour le reste, on a trouvé notre propre logique à nous. C’est très intéressant de traduire un texte en même temps qu’on le trahit pour laisser émerger notre vérité. C’est un mode improvisationnel qui est proposé. Pour l’interprète c’est difficile. »





Gestuelle
Ils et elles viennent à la fois du théâtre et de la danse : Vlad Alexis, Marc Boivin, Claudia Chillis-Rivard, Macha Limonchik et Jacques Poulin-Denis. Ils et elles ont travaillé à l’envers de ce que serait normalement la routine de la représentation, soit celle d’une partition jouée et dansée de la même façon chaque soir.
« On a dû casser les habitudes, note Mélanie Demers, pour chercher la spontanéité et une sorte de conflagration entre une parole et une gestuelle. C’est presque sportif. Ça me ressemble, car j’aime qu’on ne puisse pas trouver des solutions en répétition pour venir ensuite les présenter au public. Il faut résoudre l’équation devant le public. Comme dans un match de sport, le public comprend tout le travail qui a été fait avant de jouer. »
La metteuse en scène a cherché une cohésion dans l’équipe avec certain.e.s interprètes qu’elle connaissait et d’autres moins. Entre approches psychologique et instinctive.
« C’est fascinant de voir comment Macha Limonchik, par exemple, se débrouille pour faire dire à son corps toutes sortes de choses. Avec Jacques Poulin-Denis, que je connais depuis dix ans, c’était une nouvelle façon de se rencontrer, cette fois dans les mots puisqu’on travaille plus en abstraction dans la danse. Il fallait déverrouiller les habitudes de création. »
Mère et fils
Le texte de Jordan Tannahill décrit des situations, des objets, des personnes ou des concepts. Tout ce qui fait partie d’une vie. Celle que lui a donné sa mère et qu’il lui redonne à sa façon. Avant les répétitions, Mélanie Demers avait lu son essai Theatre of the Unimpressed: In Search of Vital Drama afin d’établir quelques clefs de mise en scène.
« Tous les deux, nous partageons ce désir de faire vivre les choses dans une espèce d’authenticité et de spontanéité. Nous avons abordé le texte de façon non psychologisante. Le sens émerge seul. Essayer d’en ajouter aurait été mal venu. Danser et faire résonner les mots, c’est ce que nous essayons de faire. Comme en poésie. »
La mort plane, mais elle est presque jubilatoire dans ce texte, selon elle. « Pour Jordan la mort de la mère est le point de départ pour essayer de nommer la valeur d’une vie. C’est pour ça qu’il sent le besoin de tout nommer », estime Mélanie Demers.
La forme de la deuxième partie de la pièce diffère donc de la première. On y trouve des éléments de conversation entre la mère et le fils. Il s’agit donc d’un univers beaucoup plus théâtral, une esquisse de narration qui est portée par Fanny Britt à la traduction, Angélique Wilkie (dramaturgie), Odile Gamache (scénographie et accessoires), Elen Ewing (costumes) et Frannie Holder (musique).
» En danse, je dois fédérer les gens autour de mon intuition. Cette fois, ayant lu le texte, tout le monde est arrivé avec des idées, envies, besoins. Le plus difficile, confie Mélanie Demers, aura été d’arrimer tout ça ensemble, dans une rencontre entre la danse et le théâtre. »
Déclarations est présenté au Théâtre Prospero du 1er au 19 novembre.