LITTÉRATURE: La source de l’effervescence indépendantiste

On ne refait pas l’histoire, mais encore faut-il la connaître. L’historien Maurice Séguin a publié en 1968 L’idée d’indépendance au Québec. Ce court, mais important essai, a été réédité en 1977 et le revoici chez Boréal compact. Pourquoi? Et bien, il semble que l’histoire se répète en ce « pays' » du Québec.

Maurice Séguin a oeuvré pendant 20 ans à l’Institut d’histoire de l’Université de Montréal. Ses cours étaient immensément populaires et ont profondément influencé toute une génération d’historiens. Si bien que le grand public ne l’a reconnu, ou presque, que par le biais de ceux qu’il a formés et qui ont pris la plume ou mené des actions politiques.

Cet impact indirect  a connu une seule exception. En 1962, il livre une causerie à Radio-Canada. Elle est intitulée ‘La genèse et l’évolution de l’idée séparatiste au Canada français’. Ce passage lui assure un plus grand ascendant encore sur la vie intellectuelle et politique du temps et sur des idées qui sont alors en formation. Il en résulte un livre, L’idée d’indépendance au Québec, que publient déjà les Éditions du Boréal Express en 1968 et qui est repris en 1977. Cette nouvelle parution est donc une troisième occasion de le lire.

Le lecteur s’étonne d’emblée d’une chose. Le terme « séparatisme » est utilisé sans vergogne aucune. C’est en effet plus tard qu’il devient le mot préféré des fédéralistes qui le perçoivent comme une appellation un peu trop crue, très clivante, apte à rebuter les tièdes et les timorés. De l’autre côté du vecteur idéologique, on adopte plutôt ceux d’ »indépendance » et de « souveraineté-association » qui rendent un son plus positif, plus encourageant. Sémantique, sémantique!

 Dans cette adoption du terme par Maurice Séguin, il y a sans doute un soupçon de bravade. Il est cependant curieux que ce déterminant apparaisse rapidement dans son livre pour qualifier l’état des Canadiens français avant la Conquête. Il n’y a, selon moi, aucun sens à qualifier ainsi une réalité coloniale qui ne se présentait certes pas en ces mots à ce moment-là. De même semble-t-il un brin exagéré de dire de l’opposition de ce nouvel ensemble canadien-anglais (ou britannico-américain) qui se manifeste après 1760, à l’indépendance américaine, est le signe d’un séparatisme artificiel. On ne peut croire que c’est ainsi que cette communauté nouvelle comprenait et interprétait sa réalité propre.

C’est là un travers des adeptes de l’histoire de penser le passé à l’aune de ce que devait arriver par la suite. Il en va pour certains comme si l’histoire avait une trajectoire téléguidée, rétroactivement, depuis notre présent, qu’en ce qui se présente à nos ancêtres résident déjà les germes de ce qui ne peut manquer d’arriver.

L’histoire n’est pas un récit dont la fin est déjà déterminée d’avance et dont l’historien doit faire converger tous les fils vers une finale anticipée. Utiliser ce nom de « séparation » pour qualifier un choix politique qui ne se présentait pas ainsi à l’époque, fausse les cartes. C’est un mot qui est plutôt chargé des volontés à venir pour Maurice Séguin. C’est à cet usage qu’il pense sans doute en l’utilisant. Car il apparaît trop tardivement dans notre histoire pour qu’on l’attribue rétroactivement à des velléités et des sursauts d’émancipation qui se donnaient d’autres noms que celui-là!

Bouillonnement

Mais ce court essai nous replonge dans les limbes d’une période passée, au cours de laquelle des idées nouvelles étaient en bouillonnement. Il permet d’aller à une des sources de cette effervescence, de renouer avec un acteur quelque peu en retrait, au plan personnel, de la vie politique comme telle mais en même temps à une des souches de la révolution tranquille et de la pensée indépendantiste.

Maurice Séguin nous permet aussi de mieux circonscrire le sentiment national du début du 19é siècle. Aux yeux de certains penseurs de ce moment, des optimistes au sein desquels il faut compter Étienne Parent, le Canada français chemine vers une sorte de pacte fédératif qui leur assurerait un contrôle sur les éléments les plus importants de leur vie politique. Beaucoup l’évoquent comme une réalité en tranquille devenir. Il est clair que, pour eux, un ensemble politique est en voie de se former et qu’il pourra être façonné aux goûts et selon les besoins nationaux des Canadiens.

De plus, la république naissante au sud semble une menace pour beaucoup. Elle est certes un puissant incitatif à fédérer Canadiens et Britanniques en deux entités où les uns comme les autres pourraient mener leurs visées à leur guise, avec une centralisation assez restreinte de certaines responsabilités. Ce rêve ne cessera d’animer une certaine élite canadienne-française, jusqu’à la création du Canada moderne en 1867, et malgré les contrecoups essuyés entre 1837 et 1867, dans ce Canada désormais uni.

Maurrice Séguin poursuit donc ce panorama dans une semblable traversée du 20è siècle. Tout s’arrête évidemment à l’aube de la naissance de regroupements politiques indépendantistes. Mais sa pensée innerve celle de Marcel Chaput, Pierre Bourgault et René Lévesque qui l’incarnera jusqu’à presque la transformer en une réalité politique.

Mais il est troublant de constater combien des personnages comme Justin Trudeau et François Legault continuent de représenter des variantes des mêmes hésitations nationales. On concédera que c’est apprêté à une sauce 21è siècle assez diluée. Mais il est vrai que c’est passé deux référendums perdus par les souverainistes.


Maurice Séguin

L’idée d’indépendance au Québec

Éditions du Boréal, Collection Compact

2022, 96 pages