
Marie Darsigny ne fait rien comme les autres. Ses récits qu’ils soient poétiques, autofictionnels ou carrément autobiographiques cherchent la vérité en dehors des clichés d’un genre particulier. Publié aux Éditions du remue-ménage, son plus récent livre hybride pousse plus loin la réflexion sur un enjeu peu compris et encore moins étudié.
Encore. Conte de toxicomanie tranquille de Marie Darsigny n’a rien du journal traditionnel d’une toxicomane passée de la chute à la rédemption. Le mot » tranquille » veut dire ici que de spectaculaire ou de miraculeux, il n’y aura pas. L’autrice a beaucoup expérimenté dans sa jeune vie, certes, mais elle effectue surtout dans ce livre une introspection complète tout en multipliant les recherches pour tenter de comprendre et d’expliquer sa propre « biologie du désir » (étude du neuroscientifique Marc Lewis).
» J’ai surtout voulu être honnête en écrivant le livre, dit-elle. Je crois beaucoup qu’une personne qui est passée par la dépendance peut en aider d’autres. Pour en émerger, il faut que chaque personne trouve ce qui est le mieux pour elle. Même les médecins manquent de connaissances dans ce domaine. Il n’y a pas tellement de transparence non plus dans l’utilisation de la médication contre la dépression. «
Formée en littérature à l’Université Concordia et à l’UQAM, Marie Darsigny est coéditrice de la plateforme littéraire Filles missiles. Elle a fait paraître les recueils de poésie A Little Death Around the Heart (Metatron, 2014) et Filles (Écrou, 2017), ainsi que le récit Trente (Remue-ménage, 2018).
L’autrice souligne qu’elle ne se reconnaissait nullement dans les récits habituels sur la toxicomanie où l’on retrouve bien souvent un commencement malsain, un milieu horrible et une fin heureuse. Encore propose plutôt une conclusion ouverte.
Il faut comprendre que la dépendance ne disparait pas par magie ni totalement, en fait, même si l’on arrive à contrôler l’attrait de l’instantanéité, ce moment présent vécu intensément même s’il meurt aussi vite qu’il est né, qu’offrent l’alcool et les drogues lorsque, notamment, surviennent des coups durs de la vie.
Aussi, la honte et la culpabilité accompagnent les dépendant.es peu importe ce qui arrive dans leurs activités quotidiennes. Avec le temps, Marie Darsigny a pu apprendre à résister de plus en plus aux appels toxiques.
» Je suis quand même bien entourée, plein de toxicomanes n’ont pas cette chance. Avec l’âge et l’expérience, on apprend de nos erreurs. Mais il ne faut pas oublier que l’on parle ici de fortes substances psyhoactives qui risquent toujours de nous ramener en arrière. »
Sobriété et pandémie
L’autrice a craint à un certain moment ne pas pouvoir terminer ce livre. Elle peinait à écrire depuis 2018 à propos de cet enjeu extrêmement intime. Sa nouvelle sobriété a également dilué le sentiment d’urgence qui l’animait au début. Remonter le fil de la mémoire pour ressentir à nouveau des émotions délétères, on le comprendra, ne la séduisait pas outre mesure non plus. Sans oublier la venue de la pandémie.
» Pour la première fois de ma vie, je n’avais vraiment pas envie d’écrire. Pourtant, c’était toujours quelque chose qui m’était venu facilement auparavant. C’était laborieux. Je me considère chanceuse d’avoir arrêté de consommer avant la pandémie. «
Il n’y a pas ici d’apitoiement, de mise en accusation ou de mea culpa. Le récit est empreint d’une lucidité marquée par la complexité des sentiers tortueux menant à la toxicomanie.
» Ce n’est pas simple de trouver les raisons menant à la dépendance. Plusieurs choses entrent en ligne de compte. Selon moi, ce n’est pas une maladie et on ne peut pas mettre le blâme sur une seule cause pas plus que s’apitoyer sur soi. Il y a énormément de facteurs comme le besoin de performance, le regard des autres, l’hypersensibilité… C’est très circonstanciel. «

L’autrice se décrivait à une époque comme une toxico-impénitente. On peut d’ailleurs se demander si les toxicomanies ne renvoient pas toujours ou en partie à l’esprit rebelle de personnes qui, dans le fond, ne feraient que rejeter un système particulier.
» Il existe une certaine lucidité chez les toxicomanes, mais leur fuite vers l’avant n’est pas non plus une solution pour mieux vivre. Quand on ouvre cette porte, il est extrêmement difficile de la refermer. Des personnes qui ont fait des tentatives de suicide disent garder cette idée dans leur tête comme faisant partie des options, mais elles reconnaissent aussi que ce ne peut pas vraiment être le cas. La dépendance n’aide en rien à chercher et à trouver un sens à quoi que ce soit. «
L’autrice estime que la perception du public face à la toxicomanie ressemble à celle qui dicte l’attitude face à la santé mentale.
» Certaines personnes voient ça comme un choix. En fait, ils mettent le blâme sur l’individu alors que, clairement, c’est beaucoup plus complexe comme problématique. Ce genre de réactions nuisent au développement de solutions ou même à la volonté d’en chercher. »
Aujourd’hui, on perçoit dans la voix et le rire de l’autrice une sérénité qui était, autrefois, brouillée par le déni et/ou la colère. Sa vie a changé, mais pas le feu qui brûle en elle. » L’intensité, la passion ou le cynisme ne devraient pas mener quelqu’un à détruire sa propre existence « , pense l’autrice.
Comme écrivaine, elle compte désormais se lancer dans la fiction… plus « libre et, disons, légère même si je n’aime pas le mot « .
Marie Darsigny
Encore. Conte d’une toxicomanie tranquille
Éditions du remue-ménage
176 pages
Marie Darsigny
Encore. Conte de toxicomanie tranquille
Éditions du remue-ménage
… pages