
Jérôme Gosselin-Tapp, qui s’est déjà exprimé sur le sujet de la laïcité avec son collègue Michel Seymour dans La Nation pluraliste, s’attaque à la question des fondements interculturels, base du vivre-ensemble que s’est donnée comme cadre la province de Québec avec Refonder l’interculturalisme.
L’auteur s’en prend surtout au fait, plutôt incompréhensible quand on y pense, que cette volonté d’intégration interculturelle ne semble pas prendre les peuples autochtones en considération. Un peu comme si ceux-ci ou bien n’existaient pas ; ou bien pouvaient être confondus avec la nation québécoise.
L’exercice auquel il se livre combine une exploration philosophique avec une approche décrivant les lois et dispositions législatives qui ont un impact sur les conditions de vie et les latitudes offertes (ou non) par celles-ci aux premiers habitants de notre territoire. Il se dégage de tout cela un fait incontournable ; quand le peuple québécois s’intéresse aux conditions de son existence propre et aux façons d’assurer sa survie, il le fait en occultant totalement ceux qui pourraient pourtant être des alliés objectifs.
Dans un premier temps, il s’efforce de montrer comment le cadre canadien, fondé sur l’idéologie du multiculturalisme, n’est pas propice à l’épanouissement des « nations fragiles » au sein desquelles il classe le Québec et les nations autochtones, dont il souligne une certaine isomorphie des trajectoires. Contrairement à l’approche interculturelle, qui reconnaît l’importance de droits accordés aux collectivités existant sur un territoire donné, le multiculturalisme s’inscrit dans un cadre libéral fondé sur la défense des droits individuels. N’existent pas, pour lui, de larges ensembles communautaires dont il importerait de défendre la spécificité propre. Bien qu’il se défende de vouloir agir en pourfendeur du multiculturalisme, l’auteur en vient tout de même à la conclusion que ce que peut permettre une vision interculturelle de la société sied mieux aux intérêts du Québec comme des nations autochtones.
L’aberration de tout ceci est que cette vision à laquelle le Québec a adhéré s’explique d’abord par la part grandissante que prend le phénomène migratoire et par la présence, qui en découle, de communautés sur son territoire. Il est apparu primordial d’imaginer un modèle de vivre-ensemble de par l’afflux de nouveaux arrivants, mais rien n’a été envisagé pour ceux aux yeux de qui nous sommes aussi de récents arrivants. Cela fait partie des nombreux angles morts du nationalisme québécois et s’inscrit dans la suite de sa reconquête du territoire amorcée au cours de la Révolution tranquille.
Du point de vue autochtone, cet épisode n’a représenté rien d’autre qu’une certaine forme de recolonisation, conduite cette fois par des instances provinciales et non plus fédérales. Or, il y a convergence d’intérêts entre la nation québécoise et les nations autochtones, ne serait-ce que dans le fait que le cadre fédéral apparaît exagérément contraignant et néfaste à leurs besoins de développement.
Dans la poursuite de son objectif, l’auteur a soin de faire quelque peu l’histoire récente des revendications autochtones et des quelques (et bien relatifs !) succès remportés par ceux-ci. Des ententes particulières ont en effet permis une négociation de nation à nation entre le Québec et certaines nations autochtones. Mais il y aurait encore beaucoup à faire pour aller vers des ententes plus globales. Une prise en compte plus complète des perspectives autochtones sur des questions de gestion du territoire et de protection de l’environnement, par exemple, devrait être envisagée et même devenir pratique commune.
Au final, l’auteur suggère de reconsidérer l’idée même de souveraineté. Il oppose à la souveraineté-possession qui lui semble un terme apte à résumer la position des nations occidentales, au concept de souveraineté-protection qui paraît bien convenir à la manière dont les nations autochtones considèrent leur relation au territoire. Ce sont là deux acceptions qui pourraient être respectées de concert et permettent une certaine conciliation des intérêts de chacun des types de souveraineté.
L’idée de reconnaissance réciproque entre des groupes et des individus, la recherche d’un équilibre entre droits individuels et collectifs, sont des notions résidant au cœur même de l’interculturalisme. À les voir ainsi s’opposer à ce que sous-tend le multiculturalisme canadien, on en vient à une conclusion, qui est certes un fondement implicite de toute cette entreprise de l’auteur. L’autodétermination que pourrait souhaiter un jour le peuple québécois, ne peut aller sans des dispositions permettant celle, en son sein, des nations autochtones. Et réciproquement !
Jérôme Gosselin-Tapp, Refonder l’interculturalisme. Plaidoyer pour une alliance entre les peuples autochtones et la nation québécoise, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, Collection Libre Accès-pluralismes, 2023, 184 pages