THÉÂTRE : La fête est finie

Happy Hour, photos: Gopesa Paquette

En webdiffusion jusqu’au 18 avril, Happy Hour se veut un portrait de la vie actuelle nous montrant des personnages aliénés aux prises avec, entre autres choses, la crise pandémique. Des personnages ni tout noir ni tout blanc, dans une pièce aux accents de fin du monde.

Happy Hour est un bon exemple de ce que peut donner le « théâtre » à l’écran avec peu de moyens. Filmée au Théâtre aux Écuries, il s’agit d’une création coréalisée par Ana Pfeiffer Quiroz et Alejandro De Leon à partir de la pièce Happy Hour, écrite par la coréalisatrice avec les interprètes Anna Beaupré Moulounda et Thomas Leblanc. Dans ce spectacle faussement léger et pétillant, les trois auteurs·trices nous disent, en quelque sorte, que la fête est finie.

Quand le spectacle commence, les confettis jonchent déjà le sol, nous laissant l’impression d’être arrivés après quelque chose qui restera à définir. Les deux personnages qui s’exprimeront dans la prochaine heure existent et/ou survivent en déficit d’humanité : égocentriques, superficiels, matérialistes. La musique presque constante durant la représentation, donne le ton. Les masques tombent.

D’entrée de jeu, le personnage quelque peu colérique d’Anna Beaupré Moulounda avoue être tout le contraire d’une bonne personne. Elle le prouve en disant préférer écouter la télévision au lieu d’aider une amie en détresse. Elle confondra, plus tard, les muscles et l’apparence physique d’un homme avec ce qui pourrait devenir de l’amour, selon elle.

Plus enjoué, mais non moins déconnecté de ses émotions, le personnage de Thomas Leblanc ne pense qu’au sexe. Il ne sait rien faire d’autre qu’être un bon amant. Il décrit sa mère comme une déesse qui ne pense qu’à son poids et son père comme étant quelqu’un qui parle beaucoup pour ne rien dire. Clairement, le jeune homme n’a pas compris qu’il est bel et bien le fils de ses parents.

Cynisme

D’aveux en confessions déclamés plutôt que joués la plupart du temps, les deux personnages démontrent une attitude cynique envers la vie tout en étant incapables d’y remédier. Go with the flow semble être leur leitmotiv, aveuglés qu’ils sont par leur aliénation. Ils distillent un humour très noir qui ne les sauvera pas. On a beau inscrire au néon sur le fond de scène qu’on ne souhaite expérimenter que de good vibes, la vie en a décidé autrement pour ces deux-là.

Même quand ils chantent ou qu’ils dansent, ils sont assurément désenchantés. Ils se demandent l’un l’autre si « ça va ? » mais l’on pressent qu’ils se parlent davantage à eux-mêmes qu’à l’autre. Accentuant les malaises, la crise pandémique et les frustrations qui en découlent sont mentionnés à quelques reprises, prenant la forme de frustrations diverses.

Les heures que vivent les humains sur terre, en ce moment, ne sont effectivement pas très heureuses, ni même roses. La pièce remet en question le concept de bonheur facile qu’on achète à l’épicerie comme panacée à tous les maux. Non, ça ne va pas bien aller, semblent nous dire les créateurs du spectacle en nous mettant crument face à l’existence vide des personnages.

Mais s’agit-il de personnages ou des interprètes eux-mêmes dont il est question ici ? L’ultime frontière entre fiction et réalité reste floue, volontairement. Et avec raison quand on pense à l’incertitude ambiante qui risque de nous accompagner encore pendant de longs mois.

La réussite de cette production réside dans la qualité de la mise en images d’un texte hyper-réaliste faisant état de fantasmes, de désirs, d’espoirs déçus. Les images et la bande-son agissent en contrepoint avec le texte. La metteuse en scène Ana Pfeiffer Quiroz joue également sur les contrastes, sourires ou gestes exagérés, pour soutenir l’étrangeté de la chose. Quant à eux, les interprètes se prêtent parfaitement aux ambiguïtés soulevées par des personnages empêtrés dans leur superficialité.

Et pour une fois, en webdiffusion, on ne voit pas l’heure passer.