Littérature: Gilles Archambault, écrivain véritable

Gilles Archambault, Tu écouteras ta mémoire, Boréal, 133 pages.

Gilles Archambault ne souffrirait pas qu’on dise qu’il a une voix discrète. Dans la vie ou en littérature. Dans le sens d’À voix basse (1983), il écrit depuis 1963 en faisant preuve d’Une suprême discrétion. Pour ce grand amateur de musique, pas que le jazz détrompez-vous, il importerait surtout de reconnaître que sa voix n’émet pas de fausse note. Elle n’a pas besoin de crier pour se faire comprendre. Elle n’a pas à passer à la télévision pour s’exprimer. C’est celle d’un véritable écrivain.

Dans Tu écouteras ta mémoire, l’homme au mot juste signe probablement ses plus courts récits. Une centaine de nouvelles-paragraphes qui ne font pas dans l’esbroufe ou le sentimentalisme. Des textes clins d’œil baignant dans l’autodérision et la mélancolie, sourire en coin. Plusieurs récits semblent chuchotés sur le ton de la confidence.

« L’autodérision me sert, avoue-t-il. Tout être humain qui a été « pitché » dans la vie sans l’avoir souhaité et qui ne sait pas quand il va mourir est un être qui fait pitié.Il ne faut pas trop insister là-dessus, mais jouer sur l’ambivalence. »

Ce lecteur d’Émil Cioran, d’Henri Calet et de tant d’autres [lire En toute reconnaissance (2018)] évite l’apitoiement en se servant de l’humour et de sa grande expérience de la condition humaine. Sa prose va droit au but.

« Cioran dit: Je ne prise rien autant qu’une prose squelettique, traversée d’un frisson. C’est mon idée de la littérature. Le moins de mots possible, des mots simples, mais qui portent. Le moins d’adjectifs possible, ce n’est pas nécessaire de dire que le ciel est bleu. Si vous êtes Simenon, il est bon qu’il soit gris. Il faisait aussi de petits de romans. »

Même quand il paraît à son plus sérieux, Gilles Archambault reste un pince sans-rire imbattable. « Comme disait Desproges que j’adore, on peut se moquer de tout dans la vie, mais pas avec n’importe qui. » Mais cette gentillesse toute naturelle chez lui n’a rien à voir avec l’humilité, souligne-t-il.

« Je ne suis pas humble du tout. L’humilité, il ne faut pas se faire d’histoire avec ça. Si on est vraiment humble, on ne se met pas à écrire. On met son nom sur un livre et on le met en vente, il ne fait pas l’oublier. »

Son livre est un compendium de plusieurs de ses romans et recueils. Il est question d’amour et d’amitié, du vieillissement et de la mort, des drôleries de la vie et de souvenirs divers. Et même sil aborde des sujets comme Le sperme, Dieu ou Nuits d’amour il n’y a jamais de vulgarité chez Gilles Archambault. Il reste l’écrivain de la retenue salutaire et respectueuse.

 » Voyez comme elles bougent

Mon ami est amoureux. Rien de bien nouveau. Je l’ai rarement connu sans attaches sentimentales. À soixante-dix ans, il porte beau. Non mais, regarde-les, dit-il, tu ne trouves pas qu’elles sont de plus en plus provocantes? Leur façon de bouger, le mouvement de leurs jambes, leurs fesses, leurs décolletés! Dire que tout cela me sera enlevé. Tu y penses, toi? Je pourrais répondre que je n’ai que cette pensée en tête, mais je me tais. mon ami a besoin de ma retenue. »

Autour des narrateurs du livre, les amis.es tombent. Si l’amour et l’amitié meurent avec les combattants, la lucidité reste intacte. Maître ès oxymore, l’écrivain ne craint pas la mort, mais… s’en passerait volontiers!

« C’est triste de ne plus avoir de désirs, confie-t-il. Mais c’est bien qu’il en soit ainsi parce, sinon, c’est la porte ouverte. S’il avait fallu que mon héros du Doux dément de 82 ans ait toute la puissance physique qu’il avait à 40 ans, il aurait été malheureux comme les pierres. En un mot, c’est une bonne chose que ça arrive, mais ne demander pas à ceux à qui ça arrive d’applaudir. Le désir sexuel nous a tout apportés en même tant que son lot de désillusions. En vieillissant, ce sont les désillusions qui l’emportent sur les satisfactions. »

Une chose est certaine, vieillir ne le rapproche pas d’un dieu quelconque.

Photo: Boréal

« On parle beaucoup de la mort, mais l’énigme de la vie est beaucoup plus grande. J’ai eu une éducation catholique. Jusqu’à l’âge de 18 ans, je croyais à Dieu. J’aimais beaucoup ma mère et elle avait canalisé mon besoin de spiritualité. En fréquentant le librairie Tranquille, je suis devenu athée. J’en ai contre les gens qui instrumentalisent les religions. Elles me semblent toutes condamnables. L’église catholique a essayé de nous faire croire que la Vierge Marie a enfanté sans avoir fait l’amour et Dieu, en trois personnes, mais pourquoi franchement ? »

Pour écrire, voyons. Gilles Archambault continue d’ailleurs. Le prochain? Un roman. Cet homme à la recherche de « sensibilités semblables » à la sienne se penchera justement sur le corps qui se fatigue.

« Déjà, être, c’est quelque chose. Je vais avoir 85 ans et six mois. J’ai l’impression d’une sorte de décrépitude que je ne pourrai pas arrêter, même si je le voulais. C’est épouvantable! Si j’en ai le talent, c’est ce que mon roman va finir par décrire. Il ne faut pas taper du pied parce qu’on atteint 90 ans.  » s

Compris? Il ne veut pas d’un gâteau avec 90 chandelles. Des livres, peut-être. Surtout ceux qu’il a déjà lus plusieurs fois. Son chemin est fait, les prix, les honneurs, les traces laissées. Tout y est, même si ce coquin veut nous faire croire le contraire.

« Laisser des traces

Elle me dit qu’au moins, à ma mort, je laisserai des traces. Si elle a en tête mes enfants, je veux bien. Elle parle plutôt de ce qu’elle appelle mon oeuvre. Pour ce qui est des livres que j’ai publiés, je serai un peu dans la situation du braconnier qui se réjouit de ce que la tempête a effacé des preuves accablantes. J’ai été imprudent, j’ai laissé des traces, elles sont à peine visibles, mais elles existent. Trop tard pour reculer, je n’avais qu’à me terni coi. Peu me chaut que mes romans me survivent ou non. Je souhaiterais même qu’ils entrent dans le néant avec moi. Ils me tiendraient compagnie. Je me sentirais moins seul. »

Rassurez-vous bonne gens, l’auteur n’en est pas là. Il cite plutôt Raymond Queneau dans son texte où un homme se jette du 95e étage: « Au soixantième, quelqu’un lui demande comment il va et l’homme répond « pour l’instant, ça va ». Je ne peux pas me plaindre. Je voyage encore. Mes enfants n’auront pas dette quand je vais mourir. Mais quand on se met à espérer, on veut toujours davantage. Rien de matériel, bien sûr. Mais quand on se mêle d’écrire des livres, on souhaite que la réception existe. C’est tout. »

Puis, il nous raccompagne et glisse: « Et n’oubliez pas de dire le plus grand bien de moi », en refermant la porte après un long entretien amical. Est-il sérieux ou pouffe-t-il de rire en retournant s’asseoir au salon? Comme dans ses livres, l’habile narrateur, le noble meneur de jeu littéraire nous a bien eus.

Ironies et mélancolies

Autobiographique: « Je ne connais que moi, le reste je ne peux que le deviner. »

Lectures: « Je lis comme jamais, mais je relis surtout certains livres pour la septième ou huitième fois. Un écrivain est un prédateur. J’ai besoin d’être nourri par des œuvres, pas nécessairement des chefs d’oeuvre, mais des œuvres qui me parlent à moi. »

Écrivains: « J’ai une grande méfiance pour l’écrivain qui veut absolument blesser. Le lecteur ne mérite pas d’être soulagé pas plus que d’être offensé. J’ai essayé de lire Sade, mais c’est pas mon truc. Dans la vie, les obsédés sexuels m’ont toujours ennuyé. Ils sont malheureux. Ils finissent par coucher avec n »importe qui parce qu’ils en ont besoin. »

Anonymat: « Quand j’écrivais au Devoir, je signais parfois Fabrice del Dongo, le héros de Stendhal [La charteuse de Parme], mais Michel Roy, à l’époque le directeur, m’avait invité à signer de mon nom. Si je n’avais pas fait de radio, laissé à moi-même, j’aurais aimé faire comme Réjean Ducharme. »

Vanité: « Vaniteux, non. Ce n’est pas de la pose chez moi. Ce que je vous dis par rapport à ma « réputation » littéraire c’est que j’ai toujours souhaité d’être tenu pour un écrivain véritable. Non pas pour un grand écrivain. Je savais que je n’avais pas les qualités qu’on accorde à un grand écrivain. »

Épouse: « Les objets sont extrêmement importants pour ce qui est de la nostalgie. Ils détiennent une partie de notre vie. Quand je me fais à manger chaque jour, je repense à ma femme. Je lui dis bonne nuit même si elle n’est pas là, même si je sais qu’elle ne me répondra pas. Il n’y a presque pas de nuit où elle n’entre pas dans mon rêve. »