
La maison d’édition La Mèche n’en est pas à son premier collectif. Après trois intéressantes cartographies du territoire, voici qu’elle se lance dans les étoiles avec douze autrices ayant chacune un signe astrologique différent. Mais c’est davantage une constellation de l’intime qu’une carte du ciel qu’ont planifiée Sébastien Dulude et l’astrologue en chef Ariane Lessard.
Avouons qu’on a toutes et tous consulté un jour notre horoscope. Pour assumer quelque superstition, se croire un moment relié à l’univers ou, simplement, rire un bon coup. Et si… peut-être si, on ne sait jamais, les textes du collectif Zodiaque nous disait ce que nous sommes et ce vers quoi nous allons en 2020?
« Le sujet du zodiaque était un peu un prétexte, avoue l’éditrice Ariane Lessard. Quand j’ai proposé le projet à Sébastien Dulude, j’ai tout suite indiqué que je souhaitais avoir des femmes. Même si ce n’était pas un but en soi, il y a eu beaucoup de textes d’autofiction. Le sujet a amené les autrices à parler d’elles, je crois. »
La tête dans les étoiles, les douze écrivaines n’ont pas eu peur de plonger dans l’immensité que peut signifier l’intime. En nouvelles, fragments, dessins, poésie, etc. Ariane Lessard croit à la force de la sororité qui se forme dans ce genre d’exercice narratif.
« L’été dernier, j’ai constaté, en parlant à Marie Demers qui a dirigé Folles frues fortes, que certaines de nos autrices [Marjolaine Beauchamp et Catherine Mavrikakis] se recoupaient. On a fait nos bac en ne lisant que des hommes pour la plupart. En suivant mes cours, je me disais que cela n’avait aucun sens de ne pas avoir lu plus de femmes. Depuis quelques années, je ne lis que des femmes. »
À la base de Zodiaque, les participantes se disaient que l’astrologie était une affaire de magazines féminins. Elles souhaitaient en parler d’une autre façon. L’éditrice affirme qu’il a été difficile de sélectionner les autrices intéressées par le sujet.
« Il y a des femmes que je connaissais et dont j’aimais l’écriture. Certaines faisaient aussi des références à l’astrologie sur les réseaux sociaux, mais le choix a été compliqué. Le signe de l’autrice était le critère de sélection. C’est certain que c’est un jeu en même temps. La littérature et l’astrologie se ressemblent jusqu’à un certain point. Dans les deux cas, il s’agit de figures avec certains schèmes. »
Thèmes variés
La plupart des textes sont écrits au « je », sauf, en bonne partie, celui de Mélopée B. Montminy (Gémeaux), une fiction à plusieurs personnages qui s’intitule Glu.
Ariane Lessard (Balance) parle de création avec Mon chemin est O; Anne Martine Parent (Poisson) plonge à la recherche d’elle-même dans Devenir sirène; Zéa Beaulieu-April s’annonce comme étant le « commencement » avec Bélier, premier signe du zodiaque; Chloé Savoie-Bernard aborde les pulsions de mort dans Ta présence a tout changé.
Parmi les autres constellations abordées, on retrouve les relations amoureuses. Nadia Essadiqi (Scorpion) décrit un bien étrange trio dans Chum, André et moi. « Comment être loyale et infidèle à la fois?« , demande, quant à elle, Maude Veilleux (Sagittaire) dans Véhicule cheveux longs.
Prédiction, prémonition? Avec 23 degrés 22, 5’S., 150 degrés 30,7′ E. sur le tropique des Capricornes, Catherine Mavrikakis narre une rencontre enflammée en Australie avec son « frère cosmique ». Histoire qui ne peut, pas plus que les feux de forêt, bien finir.
« Il y a de la noirceur dans les textes, peut-être, parce que c’est notre signe astrologique qui nous a poussées à nous dévoiler davantage, croit l’éditrice. C’est un livre un peu occulte. Ce qui nous rapproche c’est un peu l’idée de la sorcellerie et aussi celle de ne pas avoir peur de sujets plus difficiles. »
« C’est formidable, ajoute-t-elle, parce qu’au final, les autrices ont accepté de se dévoiler. On a accès à des espaces cachés de leur vie. On ne sait trop si c’est autobiographique dans bien des cas, mais on a souvent l’impression que tout est vrai. Surtout quand on lit Catherine Mavrikakis. Peu importe le gabarit littéraire de l’autrice, il y a eu un grand don de soi dans les écritures de ce recueil. »
L’infini du ciel
Viser l’infini du ciel pour dépasser les considérations de la morale ou de genre ou, encore, pour trans-cender la honte, comme le fait si bien Pascale Bérubé (Lion) dans Esthétique de l’épuisement: je ne sais jamais si je suis en train d’écrire ou si c’est une autre pascale qui prétend que j’écris.
« Je la connais depuis le bac et elle dit des choses que beaucoup d’autres n’oseraient jamais dire. Sa Lion est vraiment intéressante. »
Ariane Lessard a sélectionné également la poète-dramaturge Marjolaine Beauchamp qui s’est exprimé, ici, en dessins dans La fois où j’ai déboulé juillet. « Elle me fait pleurer à chaque fois que je la lis », dit Ariane Lessard à son sujet. Idem pour Clara Dupuis-Morency (Verseau) et son livre Mère d’invention qui l’a « fait chavirer ». L’autrice signe ici une histoire « divine » intitulée Verseau m’a dit.
Bref, que voilà une sororité ensorcelée et ensorcelante.
Après tout, conclut MP Boisvert (Vierge) « on a toustes déjà voulu être dans l’espace » dans Suffisamment vierge. Perdu.e.s que nous sommes dans l’immensité, pour se raccrocher/rapprocher, il faut bien se raconter des histoires.
« En interprétant ce système de signes, nous développons un rapport polysémique au monde et à notre propre existence. Celui-ci emprunte des formes temporaires: un ensemble de signifiés construit au fil des rencontres, des expériences et des lectures. De là naissent les récits« , résume, en postface, Stéphanie Roussel.
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Zodiaque
sous la direction de Sébastien Dulude et Ariane Lessard
La Mèche
225 pages