
La diversité sexuelle ouvre de nouveaux champs artistiques et littéraires. De nouveaux territoires lexicaux et narratifs, explorés par des artistes de plus en plus nombreux à évoluer en marge des concepts cisnormatifs. José Claer est de ceux-là. Son plus récent recueil Mordre jusqu’au sang dans le rouge à lèvres nous donne accès à une réalité crue, fantasmée, métaphorique, luxuriante. La sienne.
José Claer (prononcé clair) a publié quatre recueils de poésie, trois romans et un recueil de nouvelles en 20 ans. Prolifique poète, romancier, slameur d’une oeuvre protéiforme.
« Je suis boulimique et ce que je fais ressemble souvent à une logorrhée verbale. Les critiques me disaient, avant, avoir l’impression de traverser une forêt vierge et de devoir utiliser une machette pour avancer dans mes textes. Je les ai beaucoup épuré depuis quelques années. »
Son quatrième recueil Mordre jusqu’au sang dans le rouge à lèvres ratisse également large en procédant d’un monologue intérieur incessant, souvent au « je », parfois au « nous », en français et en anglais.
« Quand j’écris, je ne pense qu’à sortir la crasse de mon ventre pour le pitcher sur le papier. Ça peut m’arriver au travail, entre deux téléphones de proches aidants par exemple. J’utilise beaucoup de post-it. En arrivant à la maison, je continue à créer. »
José Claer occupe un poste à temps plein dans un organisme communautaire en plus d’animer depuis six ans des rencontres de groupe pour personnes trans. Sa transidentité est le terreau fertile de sa pratique littéraire.
« Je ne peux pas procréer, donc je crée. J’ai l’impression de faire oeuvre utile en tant qu’écrivain trans. Je suis sain d’esprit, j’ai un emploi et ma vie va bien. J’aurais aimé rencontré des gens comme moi quand j’avais 14 ans. J’ai manqué de modèle. Alors, prendre la parole pour démystifier les choses me plaît. »
Toute une vie
Son recueil remonte le cours de sa vie qui n’a pas été un long fleuve tranquille. Désamour, abus, déceptions de toutes sortes. « Nos enfances ont gardé intacts leurs signets/aux pages des cauchemars d’inceste indigeste », écrit celui qui se transforme en « ordalie par la lumière ».
L’écriture a toujours été un exutoire pour lui. Il avoue avoir très peu parlé de son enfance auparavant. Il se la réapproprie en quelque sorte aujourd’hui.
« J’aurais voulu être aimé par mes parents. Qu’ils m’aiment sainement, pas dans la souffrance ou l’interdit. Je recrée mon enfance dans l’esprit du vert paradis des enfants perdus de Proust. J’ai été scrappé très jeune. J’ai besoin de repasser par-là pour guérir de cette enfance. »
Avec les mots, il mord aussi jusqu’au sang dans une sexualité encore à découvrir pour lui. Le poète érotisé fait un pas en avant et deux de côté. Il est incertitudes et tremblements.
« Nous sommes nus et même nos blessures ont de la grâce/Je ne sais si je dois garder ma distance face à la lumière/On m’enfoncer en toi, m’enfourner sexe premier/Jusqu’à ce que le plaisir s’ensuive »
« Entrer en amour avec moi c’est entrer en vocation avec le désordre », écrit-il encore. Il faut en effet aimer les explosions de toutes sortes et les multiples coq-à-l’âne pour suivre ce flot de vers en proses.
Une certaine violence habite certains passages, d’autres sont davantage ludiques. Désarmant avec ses vérités plurielles, José Claer mord à pleines dents dans la religion, la politique, les puissants.
Mais le poète sait aussi se montrer tendre, amoureux de l’art, écolo, joueur, full désir et espoir. « La beauté est le cadeau des sens ouverts à la différence », écrit cet homme qui a perdu son « e » muet en changeant de genre.
Différences
Rêve-t-il du jour où la diversité sexuelle ne sera plus qu’une note en bas de page? Chose certaine, lui-même quinquagénaire ne se gêne aucunement pour dénoncer les boys club existants.
« Il y a de grandes batailles à gagner avant d’y arriver. La société est tellement binaire et réactionnaire, même. D’un point de vue juridique, les choses ont avancé, mais pas dans tout. Ce sont encore les hommes de 50 ans hétéros qui dirigent les entreprises, les gouvernements. «
Il insiste pour dire que l’écriture et sa transition n’étaient pas des choix. À une certaine époque, entre la vie et le suicide, il a choisi de donner naissance à qui il était au plus profond de lui.
« Comme trans, on crée un avatar qui devient soi. C’est la création d’un être humain qui était à l’intérieur, qui grandissait en soi. il faut qu’il sorte à un moment donné, sinon on risque l’asphyxie. On le sort par les parties génitales, forcément. avant de le coucher sur papier. »
Vie complexe, homme multiple. Généreux, coloré, pétillant, que ce soit au travail, dans un spectacle de poésie ou à la maison. Toujours en devenir.
« Il y a un noble, un comte Dracula et un trash qui squattent en moi. Je m’habille moitié punk, moitié straight. J’ai les cheveux teints en rouge et un début de calvitie. C’est moi et c’est ça » fait-il en s’esclaffant.

José Claer
Mordre jusqu’au sang dans le rouge à lèvres
L’interligne
85 pages