
Après avoir offert aux lecteurs cinq recueils de poésie et un de nouvelles, l’écrivaine d’origine roumaine Cristina Montescu propose un premier roman, La ballade des matrices solitaires, aux Éditions Hash#ag. Plusieurs autrices se sont penchées récemment sur le sujet de la maternité et de la fertilité. Chez Cristina Montescu, l’infertilité résulte d’un accident.
La poète et romancière Cristina Montescu croit que le roman narrant une histoire menée sur le long terme suppose une plus grande discipline que le poème qui, même s’il se travaille sur plusieurs couches, provient d’une inspiration davantage spontanée.
« Chez moi, si écrire vient parfois de la nécessité, je n’écris pas nécessairement tout ce que je voudrais écrire. Mais ce que je peux écrire… Je voulais essayer la forme du roman et, finalement, j’ai réussi », commence Cristina Montescu, avec un petit rire.
Dans La ballade des matrices solitaires, les lecteurs font la connaissance de Céline, Ana Maria, Martha, des femmes réunies par leur fréquentation de la même épicerie fine roumaine, sous la loupe de la narratrice Ariana où celle-ci travaille pour payer ses études.
« Son personnage se conforme à des coutumes nord-américaines tout en essayant d’obéir à un désir qu’elle ne prend pas totalement au sérieux, écrire », explique Cristina Montescu.
La néo-romancière, qui tend, elle, à écrire pour pousser plus loin ses propres réflexions, dit avoir vécu quelques doutes au sujet de ses personnages.
« J’aime par-dessus tout comprendre comment les construire. Je ne me suis pas inspirée de personnes existantes, j’ai plutôt imaginé des femmes qui auraient pu rencontrer les mêmes difficultés que celles traversées par certaines de mes amies ou moi ».
Cristina Montescu a, pour sa part, survécu à un accident de voiture à l’âge de 18 ans ayant causé son infertilité.
« Ce terrible accident a probablement généré beaucoup d’écrits et c’est au fil du temps et de l’écriture que j’ai compris que la maternité n’était qu’une partie de la femme et que j’ai pu éloigner ma douleur pour l’étudier davantage. »
Comme il est difficile d’imaginer autrui, si on y arrive, c’est toujours à partir de variations de soi-même, pour saisir comment ces projections fonctionnent chez les autres.
« Il y a une impossibilité à être objective et, en le réalisant, j’ai créé des femmes qui m’ont semblé vivantes« , confie la Montréalaise d’adoption avant d’ajouter : « j’ai eu le désir que ce roman ne voie jamais le jour, qu’il reste enfoui au fond d’un tiroir »
Théâtre
C’est un texte de théâtre postdramatique – théâtre fragmentaire, combinant des styles disparates et s’inscrivant dans une dynamique de la transgression des genres – qui été le déclencheur littéraire chez Cristina Montescu.
« J’ai senti que ce que j’écoutais était si beau que j’ai voulu écrire pour le théâtre. » Projet qui ne s’est pas réalisé jusqu’à maintenant. L’autrice avoue s’être consolée par la poésie, les nouvelles et le roman. Le principal est d’écrire. La forme s’adapte au projet, parfois d’autres styles s’imposent au fil de l’écriture.
Des relents de cet esprit postdramatique ont soufflé jusqu’à La ballade des matrices solitaires. La rencontre avec l’autre y est catastrophique. Les trois protagonistes sont mal dans leur vie et mal avec les autres.
« Ces personnages portent l’enfer en elles et leur rencontre ne pourrait produire que des accidents irréversibles, d’autres immenses douleurs ».
Ce qui est remarquable chez Cristina Montescu, c’est la bienveillance et l’empathie qu’elle témoigne à ses protagonistes. D’où vient cette générosité qui transpire d’entre les lignes ?
« Je redoute parfois la lecture qu’on fera de mes écrits car il y a un degré de franchise qui frise la cruauté… Alors, pour que tout ne soit pas noir, parce que ce sont ces failles qui font la beauté des êtres et qu’il faut faire un équilibre, il y a cette générosité – ce sont ces failles et ces dons qui nous rendent beaux ».
Alliance avec soi-même
Cristina Montescu se moque quelque peu des auteurs qui écrivent pour eux-mêmes, pour se débarrasser d’une douleur terrible. Pourquoi ne pas créer dans un état d’alliance avec soi-même ? Pour entrer dans une vraie zone d’écriture, il faut exorciser cette souffrance, autrement on ne fait qu’écrire à son propos et il manque quelque chose au manuscrit.
« J’ai avancé au moment où je me suis retrouvée hantée par l’envie d’écrire et le désir de voyager… Il faut que le malheur soit traversé par un frisson, sinon il n’y a pas d’histoire. »
Cristina Montescu a construit La ballade des matrices solitaires pendant cinq ans, version après version. Elle a travaillé avec deux éditrices, Felicia Mihali et Miruna Tarcau des Éditions Hash#ag. La romancière leur en est reconnaissante.
« Leur point de vue a transcendé mon manuscrit et m’a ainsi permis de m’en séparer pour le remettre aux lecteurs, car un livre qui n’est pas lu est un livre mort. Et j’aimerais vivre encore un peu à travers ces pages ».
Longue réflexion
Cristina Montescu y poursuit une réflexion entreprise dans ses recueils de poésie sur le rapport des femmes à l’enfantement, la maternité y étant présentée comme une illusion de l’épanouissement parfait. Cette recherche se double d’une quête linguistique puisque la langue maternelle de l’autrice est le roumain. Elle a fait le choix d’écrire et de publier en français.
Après un baccalauréat et un deuxième cycle en langue et de littérature françaises, successivement complétés en Roumanie et au Maroc, la romancière s’est inscrite à l’Université de Montréal.
« J’ai d’abord pensé poursuivre avec un doctorat, mais, puisque j’étais à l’aube une nouvelle vie, j’ai choisi ce qui me plaisait et je me suis inscrite en création littéraire. »»
Dans La ballade des matrices solitaires, le personnage d’Ariana suit presque le même cursus universitaire que Cristina Montescu. Ce n’est pas la première fois que l’autrice se met en abîme; c’est la volonté de parler d’un moi intérieur qui l’a poussée à l’écriture, qu’elle a d’abord abordée par la poésie.
« Quand j’ai réalisé que ce n’était pas suffisant, j’ai inventé d’autres personnages; c’est pour cela que je suis allé vers le roman. »
Traversées par la souffrance
Le personnage d’Ariana a d’abord été utilitaire. C’est seulement par la suite que sa personnalité s’est dégagée. Née au Québec, issue d’une famille transformée par l’immigration, Ariana travaille dans une l’épicerie roumaine où elle rencontrera les autres héroïnes.
« J’ai pensé qu’il serait plus facile de partir d’une communauté que je connaissais bien pour analyser à loisir les spécimens de femmes qui évoluaient autour de moi. »
Dans son pays d’origine, le « Génie des Carpates », Nicolae Ceausescu, misait sur une forte natalité pour sortir la Roumanie de la misère. L’avortement était interdit et bien des femmes sont mortes pour avoir refusé de produire des enfants à la chaîne.
« Les visites mensuelles chez le gynécologue pour dépister les grossesses étaient obligatoires et je me rappelle entendre ma mère parler de la honte de devoir se plier à une telle obligation. »
« Durant mon enfance, poursuit-elle, ma mère cuisinait pendant la nuit car elle n’avait pas le temps de le faire pendant la journée et elle n’était pas la seule; aucune de ses amies n’arrivait à mener de front les rôles de mère, d’épouse et d’employée modèle. »
Même si la Roumanie a connu de légères embellies économiques depuis l’époque de Ceaușescu, la douleur semble encore habiter le pays, deuxième à connaître la plus forte émigration, après la Syrie.
« Ma décision de partir n’était pas nécessairement économique – j’étais enseignante et, même si je ne vivais pas si bien que cela, j’avais l’orgueil de réussir seule. »
Cristina Montescu a donc quitté la Roumanie. La poète, qui avait déjà publié un premier livre de poésie aux éditions L’Harmattan en France, sentait que le français pouvait être intéressant pour elle.
« J’ai découvert, dans cette langue, que je pouvais être une personne plus intelligente, plus lucide et j’ai voulu devenir cette femme à temps plein et c’est d’abord pour cela que j’ai quitté la Roumanie. »
Désir de métamorphose
« Je suis la seule à parler français dans ma famille, ma mère a été traductrice du Roumain vers l’Anglais et elle a tenté de nous inculquer cette langue toute sa vie, ce à quoi il semble que j’ai résisté très tôt », s’amuse-t-elle.
C’est au détour d’une traduction d’un texte de Victor Hugo que la romancière découvre les possibilités du français: « un univers de latitudes insoupçonnées s’est ouvert devant moi et j’ai décidé d’y accéder; la langue a été mon point d’entrée ».
« Il me semblait qu’écrire en français me permettrait de ne pas tenir compte que je pourrais être lue par ma mère, mon père, mes amis proches et que j’en gagnerais une plus grande franchise, une dureté avec la langue, une vérité que je ne me serais jamais permise en Roumain. »
Elle ajoute qu’il est cependant impossible d’échapper à sa propre personnalité. Son prochain recueil de poèmes sera donc publié en français et en roumain.
Désir de maternité
Avec La balade des matrices solitaires, Cristina Montescu reprend surtout le fil de sa réflexion sur le mirage de la maternité, un malheur ayant dissipé, très jeune, ses aspirations les plus romantiques.
Cristina Montescu a souvent pensé son corps comme un espace hanté par son vide, ce qui a causé, pendant plusieurs années, son tourment.
« Ce n’est pas parce qu’on est vide à l’intérieur que ce vide n’est pas cultivé – mais, évidemment, j’ai pris quelques années avant d’en arriver à penser ainsi. Mon désir de maternité semblait anachronique, je voulais comprendre pourquoi j’étais si différente dans mes désirs de devenir mère. Est-ce que j’ai perdu quelque chose, est-ce que j’ai gagné quelque chose? L’infertilité est une souffrance qui a appartenu à de nombreuses générations de femmes – moi, je l’ai vécue par le hasard d’un accident. »

Cristina Montescu
La ballade des matrices solitaires
Éditions Hash#ag
164 pages