LITTÉRATURE: Daniel Leblanc-Poirier, aidant naturel

Daniel Leblanc-Poirier est un toxicomane repenti. Il a lâché toutes les drogues… ou presque. Pas l’écriture. Et c’est bien tant mieux que ce grand cœur sur deux pattes continue d’explorer les bas-fonds pour en faire émerger des perles. Deux recueils en moins d’un an pour lui: Zoo (L’écrou) et Mélasse (L’Hexagone).

C’est presque devenu un rituel pour Daniel Leblanc-Poirier. L’Acadien d’origine publie au Québec, avec la précision d’une horloge suisse, deux recueils de poésie chez deux éditeurs avec quelques mois d’écart. Des livres différents l’un de l’autre, mais pas tant que ça tout de même, si on n’y pense bien, après tout, et on y reviendra…

Zoo est sorti en 2019 à L’Écrou et voici, à quelques lunes noires d’intervalle, Mélasse à L’Hexagone. Auparavant, il y avait eu aussi Le naufrage des colibris à L’Écrou, puis Fuck you et 911 à L’Hexagone. Quelle potion étrange a-t-il bu pour slalomer ainsi entre deux maisons d’édition ?

Avant sa mort en 2008, le poète Robert Fortin avait commencé à réunir des écrivains (dont Daniel Leblanc-Poitier, Virginie Beauregard D., Shawn Cotton) pour les publier à l’Hexagone. C’est devant le vide laissé par sa disparition que Jean-Sébastien Larouche et Carl Bessette, lancent la maison L’écrou en 2009.

« Quand j’ai vu le groupe fonder une maison parallèle pour perpétuer l’héritage punk de Robert, j’ai voulu les suivre. J’ai toujours apprécié l’Hexagone aussi puisque c’est un autre modèle, établi, plus officiel. Mon cœur balance entre les deux. Je ne propose pas le même genre de poésie à l’un et à l’autre. L’Hexagone n’a pas fermé la porte à une esthétique de la rue. »

« En plus, ajoute-t-il, L’écrou s’est donné comme mission de ne pas retenir les auteurs. On voit qu’ils et elles publient partout. C’est une philosophie, pour eux, très importante. C’est comme des relations ouvertes en amour. C’est adapté à la réalité d’aujourd’hui. »

Complémentarité plutôt que compétition. Cette libre circulation des écrivain.e.s permet d’élargir le cercle de lecteurs.trices tout en laissant libre cours aux poètes pour emprunter des voix, styles, esthétiques variés.

« Je » inclusif

Mélasse vient clore un triptyque entamé avec 911 et Fuck you à l’Hexagone. Daniel Leblanc-Poirier y déploie une voix qui s’exprime au « je ». Mais ce moi n’est jamais seul dans ses livres. Le « tu », l’autre, le collectif s’allient toujours pour disputer la place à l’intériorité.

« J’adore écrire au « je ». Ça donne un point de vue et permet des prises de position tranchées. Mais j’aime l’idée de m’intéresser à d’autres personnes. Le personnage principal ce n’est jamais moi, de toute façon, ce qui me permet déjà une distance avec moi-même. C’est quand même plus facile, aussi, de synthétiser ce qu’est une autre personne que soi-même. »

Dans Zoo (L’écrou), justement, chaque poème « raconte » un personnage, réel ou composite, observé dans des rencontres de toxicomanes anonymes.

« Les gens entrent souvent dans la poésie par les poèmes d’amour. Je me reconnais là-dedans parce que c’est toujours un peu ce que je fais. En ce sens-là, Zoo est un peu à part, dans une démarche plus documentaire, mais les autres livres se situent souvent dans des rapports amoureux avec un « tu » très fort. »

En dialogue constant avec l’altérité, le poète dit favoriser une écriture « bilatérale » parce que les rapports humains ne sont jamais simples.

« Tu es secrète comme un service/dans des bottes/pour qu’on marche ensemble/m’aimes-tu?/mais non/j’ai les os croches des cannelles/l’haleine des cierges/je veux dire j’ai une religion/qui brûle pour deux. » (Le naufrage des colibris)

Dépendances

En fréquentant les thérapies de groupe pendant un bon moment, l’écrivain y a perçu des histoires crues et touchantes à raconter. Or, dans la vraie vie vraie, ces rencontres peuvent, à leur tour, devenir une nouvelle drogue.

« J’ai eu recours à d’autres thérapies scientifiques qui ont changé ma vie. Maintenant, je n’ai plus l’impression de passer ma vie à « ne plus consommer ». J’ai pris une liberté, je suis sans fil. J’ai repris confiance en moi, alors j’ai pu en parler. »

C’est ce qui a permis d’écrire Zoo où sa description de plus poqués que soi dresse un portrait humain hallucinant de vérité et d’empathie.

« J’ai un désordre de l’empathie. Quand j’étais jeune, j’ai travaillé dans les hôpitaux. Je n’y étais pas par hasard, mais pour essayer de comprendre ce que vivaient les malades. Se mettre dans la peau des autres pendant un certain temps, c’est comme un free buzz, un break que tu peux avoir par rapport à ta propre personne et à tes tourments. »

Mélasse

Dans Mélasse, il tourne sa caméra vers deux personnes beaucoup plus près de lui, sa sœur et sa copine. L’observateur a, cette fois, les deux pieds dans l’émotion.

« Je joue avec les paramètres. C’est une façon pour moi de m’impliquer dans le livre sans parler de moi. C’est dans ma bulle, mais d’un point de vue extérieur en même temps. »

« la danse/des animaux en braises/devenait étourdissante//et la femme dans tes yeux pâles/promettais des averses de petits pois/et moi j’en servais des assiettes/les mains lourdes/comme des bungees de parfum »

La poésie de Daniel Leblanc-Poirier fait appel aux sens, à l’organicité du monde, vivant ou non. Ludique, lubrique, sombre parfois. Elle est crue, descriptive, accessible. D’autres disent trash ou punk comme on pourrait dire ‘fond de ruelle’, mais ce n’est jamais pour faire dans l’épate ou le désincarné.

En fait, il faudrait dire: sensibilité à fleur de peau. Dans le cas de Daniel-Leblanc-Poirier, ce cliché occulte à peine une qualité pas si fréquente en poésie contemporaine, la bienveillance.

Romans

Le poète-romancier écrit tout le temps « comme un autiste avec ses jeux vidéo », dit-il. Cette nouvelle dépendance, toutefois, lui fait se sentir bien. Il écrit des vers continuellement et prépare en, même temps, un roman.

« J’ai cessé d’écrire pendant quelques mois récemment et en y retournant, une dopamine est montée. J’ai senti un engourdissement. Wow, que je me suis dit, c’est pour ça que j’écris. »

Il se tourne maintenant vers une certaine forme d’espoir et veut écrire à propos de sujets davantage lumineux après Zoo et Mélasse. Deux romans sont déjà déposés. Un autre recueil de poésie, jeunesse cette fois, suivra.

« Le roman raconte des amourettes adolescentes au Nouveau-Brunswick sur le bord de la mer. Ce n’est pas de l’autofiction. Un peu tiré de ma famille, un peu inventé. Une genre de Catcher in the Rye ou de Bonjour tristesse. Un petit roman facile, pour tous. On dirait que j’ai sorti la tête de l’eau et que j’ai du fun à faire de la création.”

Quel parcours personnel fascinant, dirait un animateur radio-canadien. Il faudrait l’écrire, ajouterait une de ses collègues.

Fermez la radio, la télé, l’ordi. Lisez-le plutôt.


Quelques poèmes choisis

« tu verras/les avions qui nous ont transportés/vont continuer longtemps leur chemin/dans les gélatines infectées/car nous sommes arrivés à bon port/mais à contrecœur pour la santé/chaque médicament que tu prendras/au hamac dressé de ton omoplate/restera chaud fera office d’appât/pour les sinistrés dans ta posture »

Mélasse

l’Hexagone

64 pages

« RICHARD

quand il craquait son cou on aurait dit/qu’un bombardement avait lieu/dans le meurtre d’une femme//il avait le dessus de la tête usée/par les perséides qui dorment/dans les allées de la coke/on aurait dit de son ossature/un monument de braille/pour la haine//Richard avait passé 25 ans /à l’ombre des murs étouffé/avec les chenilles de la détresse/il fumait à la fenêtre/avec un poumon d’avion/et il regardait au travers des barreaux/les doigts coupés d’un jardin »

Zoo

L’écrou

80 pages

« les voitures sont proscrites/si elles sont laiteuses/dans la brume sur la route/j’ai peur aux chose invisibles/je cherche en toi les sèves brûlantes/mais ne retrouve qu’une femme/et les dernières mesures de l’abandon »

911

l’Hexagone

64 pages

« Je m’étais levé à midi, une hélice dans la main, tes cheveux bouchaient l’évier, je ne pouvais plus m’envoler. Que restait-il à faire sinon flairer la mort à mes aisselles? Tu disais qu’il n’y avait pas assez d’eau dans le robinet pour nous noyer au complet. »

Gyropohares de danse parfaite

L’écrou

72 pages