
Une part de réalisme magique pour autant de féminisme, de filiation et de fantaisie, le tout relevé par un zeste d’humour… L’autrice, rédactrice et traductrice Pénélope Mallard a parfaitement dosé son premier roman Juliette ou Les morts ne portent pas de bigoudis. Publié chez Lévesque éditeur.
Nos cousins français ont découvert le style éclectique de Pénélope Mallard dans des publications comme Moebius, Le crachoir de Flaubert et Scribulations. Chez nous, c’est dans les colonnes de l’âpre Mouton Noir que ses chroniques culturelles sont publiées: » J’aime que cet organe de presse soit un journal citoyen et qu’il soit basé à l’extérieur de Montréal « , commente d’emblée la Saint-Éloise d’adoption.
Formée en traduction (russe-français et anglais-français), Pénélope Mallard découvre le Québec lorsqu’elle quitte à 18 ans sa Bretagne natale pour étudier en Relations internationales à Ottawa. Puis, à la suite d’un séjour de deux ans dans l’ancienne URSS, les choses lui semblent évidentes.
» J’ai fait le choix de revenir ici, où il me semble qu’on respire mieux qu’en Europe et je ne l’ai jamais regretté… Je suis maintenant installée dans le Bas-Saint-Laurent. «
Des fils rouges comme des indices
Adepte de la nouvelle et du fragment, l’autrice a souhaité commettre un roman par nouvelles, avec beaucoup d’ellipses et de blancs pour laisser de l’espace à l’imagination des lecteurs. Chaque chapitre a été écrit sous des impératifs différents, mais le tout tient en une histoire parfaitement cohérente.
» Des fils rouges vont de récit en récit, comme des indices qui concourent à former l’uniformité du projet ; puis, à la réécriture, j’en ai semé d’autres, que je ne peux même pas complètement expliquer. »
Pénélope Mallard a écrit Juliette ou Les morts ne portent pas de bigoudis selon les codes du réalisme magique.
» L’intérêt de cette école est qu’elle permet de sortir des cadres, d’élargir les frontières de ce qu’on considère comme étant la réalité. «
Qu’est-ce que le réel? Où se situe la frontière? Peut-être est-elle plus poreuse que ce que nous soupçonnons? Existe-t-il d’autres dimensions, plus vraies que celles que nous que nous habitons?
En incurable curieuse, Pénélope Mallard soupire : » Je n’ai que des questions et aucune réponse « .
L’insolite et le surnaturel
Mais oubliez les révélations du sorcier yaqui de Carlos Castaneda, c’est plutôt un roman féministe du XXIe siècle qui a abouti.
» J’ai été surprise de ce qui est sorti de ces écrits car je n’avais pas d’ambitions spécifiques par rapport à ces thématiques ; là aussi, beaucoup de choses m’échappent encore, comme si le texte avait lui-même succombé au réalisme magique « , s’amuse la romancière.
Un peu à la manière d’Edgard Allan Poe, qui prenait appui dans la réalité pour mieux décoller dans le fantastique, Pénélope Mallard a vite vu que le réalisme magique ne fonctionne que s’il est bien ancré dans la réalité, qu’elle soit historique ou botanique, puisque Juliette étudie en herboristerie. » Je me suis imposé ces contraintes pour mieux avancer dans l’insolite, le magique et le surnaturel » .
Positionner le regard
Juliette ou Les morts ne portent pas de bigoudis raconte la transmission d’un don, de femme en femme, depuis Adélaïde jusqu’à Juliette : » Je crois que ces femmes abordent la mort avec une gravité marquée de légèreté, elle n’est pas définitive, c’est un rite de passage « .
Percevoir l’absurde d’une situation est indispensable pour s’extirper du drame. Pénélope Mallard ne sait pas d’où lui vient son goût pour la fantaisie et l’humour mais elle pense que sans le sel de l’absurde, la vie n’aurait aucune saveur.
« L’absurde, comme la beauté, est partout, il faut juste positionner son regard pour les cueillir. Tout en ayant l’impression d’être très sérieuse et pendant que mon compagnon assure que j’ai un sens du drame consommé, j’écris des choses qui ne font rire que moi « , fait l’autrice. Délicat sujet que celui de l’humour, surtout en ces temps douloureux.
On n’écrit pas forcément ce qu’on a l’intention d’écrire
Juliette parle aux morts, aux animaux, elle est ouverte à toutes les dimensions. La fameuse tante Mique incarne le soin, le fantôme pot-de-colle de l’explosive grand-mère (tapie dans une bouilloire) et celui du papa enrôlé dans la résistance sont les prétextes parfaits de remonter jusqu’à la deuxième guerre mondiale, si lointaine aux lecteurs québécois.
Il y a aussi Anatole, le génial inventeur, directement inspiré de Boris Vian et de sa chanson La complainte du progrès.
» Pendant les ateliers d’écriture que j’ai suivis avec elle, Marie Clarke disait qu’écrire, c’est faire le deuil de ce qu’on aurait voulu écrire ; Hélène Dorion allait dans le même sens en avançant qu’on n’écrit pas forcément ce qu’on a l’intention d’écrire, mais qu’il faut suivre l’élan de la plume « .
» Tout ne relève donc pas de mon contrôle, poursuit-elle, les idées me visitent quand je suis au repos, au contact de la nature ou entre deux états de conscience, au réveil. Je les note dans un carnet même si quelquefois, je les oublie « .
Écrire fait mal aux os
À l’évidence, Pénélope Mallard a adoré l’expérience de la rédaction de ce premier roman : » Écrire, c’est à la fois génial et, quelques fois, ça fait mal dans les os, tellement c’est exigeant « .
D’autres projets auraient d’ailleurs déjà commencé à mijoter. Difficile d’en savoir plus pour le moment.
» Une année, je suis allée aux Correspondances d’Eastman, dans une classe de maître de Robert Lalonde, et il racontait qu’il mentait parfois à ses amis pour pouvoir voler du temps, s’isoler et travailler ses textes « , raconte-elle.
Écrire est un choix qui s’impose. Ensuite, on prend les moyens pour l’assumer. Il y a donc maintenant deux tables de travail dans le bureau de Pénélope Mallard – une dédiée à la traduction, l’autre à l’écriture.
» Écrire me procure de grandes joies et je ne pourrais plus m’arrêter « .
Pénélope Mallard a vu son roman nommé pour le prix Jovette-Bernier 2020. Cette année, les trois finalistes sont des autrices et le nom de la lauréate sera dévoilé le 22 octobre 2020.

Pénélope Mallard
Juliette ou Les morts ne portent pas de bigoudis
Lévesque éditeur
128 pages