THÉÂTRE: Minorités (in)visibles

La metteuse en scène Sophie Gee, photo:  Jeremy Cabrera

Diversité, féminisme et culture québécoise. À l’heure de #metoo et du racisme systémique, voici une fable tragicomique qui devrait amuser autant que faire réfléchir. Sophie Gee met en scène Habibi’s Angels: Commission Impossible au Théâtre La Chapelle, en diffusion les 2 et 6 décembres prochains.

Depuis 15 ans maintenant, le Talisman Theatre présente des version anglaises de pièces québécoises francophones. C’est la première fois que Lyne Paquette, la cofondatrice avec Emma Tibaldo, de la compagnie commande un texte inédit, bilingue et interculturel, Habibi’s Angels: Commission Impossible.

Sophie Gee met en scène cette œuvre coécrite par Hoda Adra and Kalale Dalton-Lutale. Le spectacle est définit tel un portrait décapant de Montréal, la ville y étant victime de Habibi, une monstrueuse machine tentaculaire qui se nourrit de féminisme et de diversité!

 » Les personnages ont des points de vue différents sur ces questions et se confrontent, explique Sophie Gee. Les dramaturges ont voulu explorer les diverses façons d’être féministe à notre époque, relativement aussi au fait de provenir de minorités visibles. »

Tout ça dans un style qui n’a rien de réaliste, même si le récit se base sur la difficulté d’écrire dans le cadre d’une pièce avec de très larges thématiques.

 » Ce que j’aime dans la pièce c’est qu’il y a divers niveaux de lecture avec quatre personnages d’anges superhéroïnes, note la metteuse en scène. C’est une pièce dans une pièce dans une pièce sur le fait, que les artistes de minorités visibles sont tout d’un coup devenues « tendance ». « 

Répétition de Habibi’s Angels: Commission Impossible, photo: Sophie Gee

Inclusivité

Dans une société où un gouvernement québécois tokéniste – faisant des efforts symboliques d’inclusion vis-à-vis de groupes minoritaires dans le but d’échapper aux accusations de discriminations – refuse de reconnaître l’existence du racisme systémique, Habibi apporte un éclairage rafraîchissant.

D’ailleurs, ce n’est point un hasard si cela nous vient d’une troupe anglophone, cette communauté s’étant toujours montrée rapidement plus accueillante envers les minorités culturelles.

 » Soudainement, on semble favoriser la diversité tout en votant la loi 21. C’est intéressant de voir qu’on se prononce pour la diversité, mais qu’on se range tous derrière Robert Lepage [dans le cas de ses pièces Kanata et Slav]. On se dit en faveur de la diversité pour se donner bonne conscience. « 

La diversité n’équivaut pas à une Bourse du carbone où l’on peut acheter des points d’un côté et continuer de polluer de l’autre. On parle de vraies personnes formant la mosaïque multiculturelle du Québec, n’en déplaise aux ayatollahs nationaleux qui en ont contre l’expression.

 » Depuis trois ans environ, tout le monde dit que la diversité est importante. L’a-t-on vraiment assumé ou serait-ce plutôt parce qu’il y a des subventions pour la diversité qu’on l’affirme? C’est un processus lent et sans doute une étape vers le changement, mais on doit continuer d’être vigilants. »

 » Je suis tout à fait d’avis qu’il faut protéger la langue française au Québec, ajoute-t-elle. J’adore Montréal. Je vis ici depuis 14 ans et je compte y rester, mais je doute que je m’y sentirai un jour incluse. Je ne suis même pas contre la souveraineté, mais contre le racisme, oui. Je veux me sentir incluse dans cette société, ce qui n’est pas le cas en ce moment. Je ne souhaite plus jamais entendre une phrase comme « on a perdu en raison du vote ethnique ». Évidemment, mais c’est parce que vous n’avez pas inclus les minorités dans votre vision du Québec. « 

Pièce à conviction

Même si le texte interprété par Lesly Velasquez, Chadia Kikondjo
Aida Sabra, Emilee Veluz et France Rolland aborde cette thématique, il ne s’agit pas d’un pamphlet pour autant.

 » Au contraire, souligne Sophie Gee, c’est très drôle. Les quatre personnages cherchent à en finir avec Habibi. C’est un récit parlant de choses importantes de façon drolatique. Par moment, c’est complètement fou et ludique! On y rend visibles les minorités visibles avec des costumes très colorés. « 

 » Les dramaturges, poursuit-elle, se sont inspirées de l’émission des années 70 Les anges de Charlie pour créer des personnages de femmes fortes, mais contrôlées par un homme. On peut penser aux Spice Girls aussi des années 90, dont la carrière profitait surtout à des hommes. Dans la pièce, on imagine qu’Habibi est une personne blanche. La pièce parle de l’émancipation des quatre superhéroïnes. « 

L’irrévérence de la pièce sied bien à la metteuse en scène dont la compagnie se nomme Nervous Hunter (nommée en hommage à un vers de Rimbaud). Elle aime aussi faire disparaître les frontières entre les disciplines : le théâtre, la danse et la performance. Pour Habibi, elle a collaboré avec la chorégraphe Claudia Chan Tak.

Son spectacle The Phaedra Project se déroulait dans une mare d’eau. Sa pièce en français Lévriers donne la parole à des acteurs et des non-acteurs de tous horizons et devrait, conditionnel pandémique ici, être présentée un jour dans les Maisons de la culture. Elle planche aussi à une adaptation très très libre de la pièce de Jean Genet, Les bonnes.

Malgré tout, la crise actuelle rend son travail ardu comme celui de tous les artistes de théâtre en ce moment.

 » Soyons francs, c’est impossible de continuer à travailler comme ça. C’est ridicule d’avoir à tenir un atelier dramaturgique sur Zoom avec 16 personnes. Une fois dans la salle, il faut constamment s’arrêter pour mesurer les distances entre les interprètes. C’est vraiment pénible. Dans la pièce, il y a une scène de chasse-galerie dans un canot où les actrices doivent se tenir à deux mètres l’une de l’autre. Le canot devient immense, ce n’est pas très sérieux! « 

Habibi’s Angels: Commission Impossible sera webdiffusée les 2 et 6 décembre. Infos: talisman-theatre.com