Cité mémoire est un projet d’art public grandiose à l’échelle montréalaise. Le parcours interactif continuera de s’étendre au cours des ans et il fera probablement des petits ailleurs dans le monde. Comme on peut le constater dans le film de Janice Zolf et de Sylvie Van brabant, Au coeur de Cité Mémoire, c’est surtout le résultat d’une longue amitié créative entre les idéateurs du projet, Michel Lemieux et Victor Pilon.
Ça fait plus de 35 ans que Michel Lemieux et Victor Pilon travaillent ensemble. Leur association ne les a jamais empêchés de travailler en solo, mais leurs nombreuses réalisations communes leur assurent une place unique dans le milieu des créateurs québécois.
Qui d’autre, en effet, pouvait travailler pendant cinq ans à un projet de 20 millions de dollars, Cité Mémoire, réunissant quelques centaines d’artistes et d’artisans pour créer des projections de capsules historiques, diffusées toute l’année dans 25 lieux du Vieux-Montréal à l’aide de 80 projecteurs. Et le projet, réalisé pour le 375e anniversaire de la ville, se poursuit encore aujourd’hui.
Puisque Cite Mémoire relève de l’art public, c’est l’une des seules activités culturelles, à part la lecture, que les Montréalais peuvent encore pratiquer. Les deux complices ont donc créé cet été de nouveaux tableaux pour répondre à la pandémie, dont ils parlent, d’ailleurs, dans le documentaire de Janice Zolf et de Sylvie Van Brabant.
» Ce sont deux tableaux qu’on a ajoutés sur le grand mur du Palais de justice, explique Michel Lemieux. C’est une flamme symbolique de l’espoir de Montréal qui s’inscrit entre les grands tableaux de Cité Mémoire. C’est rare de vivre un moment d’histoire en sachant que c’en est un, à part le guerres, avec cette pandémie. Notre création parle des 400 ans de Montréal, mais on ne pouvait pas passer sous silence ce qui se passe en ce moment. «
« La flamme est accompagnée des qualités humaines, poursuit Victor Pilon, une trentaine écrites dans 17 différentes langues, qui représentent les gens qui travaillent sur le front de la pandémie actuellement. Des qualités vers lesquelles, je crois, on devrait tous se tourner. «
Le duo a aussi ajouté sur tous les 25 lieux du parcours les images des visages de Montréalais, qui apparaissaient déjà sur les arbres, et qui sont diffusées entre deux déclenchements des tableaux activés par les visiteurs.
Au coeur de Cité Mémoire
Réalisé en français par Sylvie Van Brabant, le film a d’abord été diffusé en anglais par la CBC. Le documentaire montre les coulisses de la création du projet – grâce aux images commandées par le producteur Martin Laviolette de Montréal en histoires à l’époque – et interviewe les deux créateurs ainsi que leur collaborateur, le dramaturge Michel-Marc Bouchard.
On peut voir, entre autres, comment les fabuleuses images diffusées sur la façade du Quai de l’horloge ont été tournées en piscine ; l’utilisation des écrans verts pour les images du déménagement décrit comme un match de hockey de Maurice Richard ; ou encore celles de figurants des plus divers qui nous regardent directement à travers la caméra.
Dans tous les cas, le film rend compte de la somme de travail éléphantesque qui a servi à créer ce projet hors normes et intemporel.
» On pensait que les spectateurs se fatigueraient après quelques années, commente Michel Lemieux, mais non. On n’a pas réalisé des capsules à la mode ou technos. Et notre travail reste actif: par exemple, on déménage des tableaux d’endroit. Le tableau sur Jeanne-Mance est maintenant rendu à la Place Ville-Marie. »
Le duo vise maintenant une expansion au centre-ville et dans le Quartier des spectacles en créant de nouveaux tableaux, dont un sur la création des caisses Desjardins.
« Le projet ne diminue pas, il grandit, poursuit-il. Il y a des possibilités de travailler dans des espaces intérieurs aussi. Puis, d’autres villes dans le monde s’y intéresse, comme paris et Tokyo. »
Valeurs historiques et humaines
Il était donc important de documenter cette approche innovante et de le faire en parlant des valeurs qui ont animé Victor Pilon, Michel Lemieux et Michel-Marc Bouchard depuis le début. Les créateurs avaient carte blanche pour Cité Mémoire.
» Le projet est bien vivant et c’est dans le but de célébrer notre histoire et les gens, note Victor Pilon. Dans une période comme la nôtre, c’est important de trouver un sens à ce qu’on fait, c’est-à-dire des œuvres porteuses d’espoir et de lumière. »
Dans le documentaire, les deux complices parlent beaucoup de profondeur et de bienveillance d’ailleurs, comme des valeurs vers lesquelles on peut se tourner pour transcender la crise actuelle.
» On a du temps en ce moment pour approfondir les choses, être créatifs et s’enluminer « , résume Michel Lemieux.
Et après...
Les complices travaillent ensemble sur des projets de réalité virtuelle. Leur Icarus – inspiré de la pièce présentée au TNM en 2014 – a déjà fait le tour de quelques festivals cette année, dont Cannes, Londres et New York.
Séparément, Michel Lemieux planche sur un projet portant sur le thème de l’heure : la distanciation sociale dans le cadre d’une expérience en réalité virtuelle! De son côté, Victor Pilon crée une performance solo pour le Musée des beaux-arts de Montréal sur le mythe de Sisyphe.
Leur amitié/collaboration artistique a survécu à bien des écueils et passera vraisemblablement au travers de la pandémie aussi. Quelque part en campagne, ils habitent à 10 minutes de marche l’un de l’autre.
» Notre amitié est solide, estime Victor Pilon. Travailler en collaboration, c’est très rassurant. De créer comme dans une partie de ping pong entre nous, c’est riche. On se dit les vraies choses et ça nous force à aller plus loin tout en défendant nos idées. Durant la pandémie, on voit comment cette relation humaine est précieuse. »
» On est comme des frères, ajoute Michel Lemieux. Il y a beaucoup de respect. Quand on se connaît comme ça on sait ce qui peut blesser, alors on évite d’y aller. On fait attention l’un à l’autre. Surtout ces temps-ci, où tout le monde est exacerbé, exaspéré. »
Cité Mémoire est disponible dès le 26 nombre sur Club Illico.
