La télédiffusion de la messe québécoise officiée par la Sante-Flanelle reprendra bientôt. Mieux vaut en rire comme Hugo Beauchemin-Lachapelle dans La surface de jeu. À En toutes lettres, notre credo favorise davantage d’autres formes artistiques de « patinage », mais justement, le Mario-Lemieux, bonjour de Michèle-Nicole Provencher ne parle pas de gouret, mais d’un spécialiste de la gouge et du maillet. Dans les deux cas, l’humour est au rendez-vous. En ce début de 2021, une année qu’on souhaite différente, voici deux publications de La Mèche.
Le deuxième roman de Michèle Nicole Provencher conserve le style alerte et le ton humoristique de son premier, Mardi comme mardi. Le Mario-Lemieux du titre est le nom d’un Centre d’arts de Fredericton dédié à un célèbre faux sculpteur acadien et non au joueur de hockey qui ne fait l’objet que de quelques savoureuse mentions.
Alex, la narratrice quitte ses amis et Montréal, pour accepter son « job de rêve », chargée de la gestion d’artistes en résidence dans ce haut lieu de la culture acadienne ou, comme elle le résume si bien, G.O. de Club Med sans avoir à taper des mains.
Roman au « je », probablement basé sur des expériences personnelles, mais peut-être moins autofictif que Mardi comme mardi. Cette histoire empreinte de lucidité et de regards obliques s’avère aussi plus légère. Alex a quelque chose de la très (trop?) bonne pâte, débordante d’empathie et de bienveillance. La jeune femme s’emballe pour son boulot, mais s’ennuie tout autant de ses ami.e.s, aussi égocentriques qu’ils et elles savent se montrer avec le temps.
La narratrice, de toute façon, possède un entrain implacable et une détermination à toute épreuve. Ses remises en question et ses doutes nous la rendent attachante. C’est une spécialiste en relations humaines, même si plutôt perdante en amour. Sa compréhension du spécimen mâle montre, notamment, une grande acuité.
« C’est là que s’installe souvent le fossé dans l’amitié que j’entretiens avec les garçons. Il arrive toujours un moment où s’imposent les limites de la compréhension de nos enjeux. Et ça ne s’applique pas qu’aux mauvaises histoires de dating, mais à tout ce que vivent les femmes en général. Certains utilisent l’autovictimisation, « moi aussi j’ai vécu des moments difficiles », ce qui nous écarte aussitôt du sujet. D’autres se défilent ou roulent des yeux. La plupart du temps, il est difficile d’avoir des conversations de fond sur le sexisme avec eux parce qu’ils n’ont aucune éducation sur le sujet. Et c’est fâchant parce qu’ils ne savent pas pour la simple raison qu’ils ne veulent pas savoir. »
Le roman fourmille de ces réflexions sans prétention qui alimentent la nôtre. Cette remarque vaut également à propos de la description de la vie d’artiste et de la création. La romancière nous montre un milieu où plusieurs égos ne passent plus dans la porte, un monde d’individus ultra-sensibles qui travaillent fort, pour la plupart, mais qui semblent, en même temps, complètement détachés du quotidien, voire de la réalité.
C’est un rôle de gardienne de garderie, de mère et de psychologue que sa narratrice assume au Centre Mario-Lemieux. Une expérience que l’on conçoit comme n’étant pas vraiment reposante. D’autant plus que ce séjour en Acadie sera marqué par des embrouilles avec les collègues et les ami.e.s, ainsi que le décès d’une proche.
Alex la maladroite en sortira grandie, toutefois, toujours lucide, plus sage et sans regrets. Avec son regard ironique renouvelé.
« … il a l’air d’un prof de yoga qui mange de l’ail cru à chaque repas et qui utilise de la pâte à dents au chanvre, mais il avait aussi ses défauts. J’avais beaucoup de respect pour son jugement, sauf en matière de relations amoureuses. Même s’il était de prime abord mon genre de garçon, physiquement, je l’ai très vite rayé de ma liste d’amant potentiel. Il voyait toujours deux ou trois filles en même temps et il leur trouvait toujours des défauts pas possibles ou inventait des excuses bidon pour éviter de s’engager. »
Le travail de relecture aurait pu bénéficier de plus d’attention, mais dans l’ensemble, il s’agit d’un roman drôle et sérieux à la fois, genre que Michèle Nicole Provencher maîtrise maintenant avec assurance et sérénité.
La surface de jeu
Finaliste à plusieurs prix en poésie grâce à son premier recueil, Stainless, Hugo Beauchemin-Lachapelle propose un premier roman tout aussi humoristique, intitulé La surface de jeu. Il s’agit bien de hockey, cette fois. Enfin, des amateurs de ce sport et du club des Canadiens, c’est-à-dire des adeptes de cette religion, passion, drogue qui se résume, dans le fond, à boire de la bière en rêvant de vestiaires sportifs et en adulant une équipe peu importe son rendement sur la glace.
Le héros de cet amusant thriller se nomme Claude Provost, du nom d’un ancien joueur de la dite équipe, « spécialiste de la couverture défensive des joueurs vedettes des équipes adverses », aux dires de Wikipédia. Fonctionnaire de son état, le bonhomme s’ennuie glorieusement. Sa vie change lorsqu’il se porte acquéreur d’un obscur bouquin qui affirme néanmoins contenir la vérité sur le plus grand scandale de la Ligue nationale.
Le néo-romancier s’amuse fermement avec ce récit invraisemblable en adoptant le vocabulaire sportif et en se moquant gentiment des sportifs de salon et autres fervents des théories du complot. Extraits de quotidiens, faux poèmes, illustrations, adresses directes au lectorat, clins d’œil autoréférentiels, etc servent ici au poète à maintenir le rythme effréné de son attaque à cinq et à relancer constamment cette quête aussi vaine que celle de la coupe Stanley par le CH depuis près de 30 ans!
« Claude est parti, il n’est pas là. Il est avec des amis, vous les connaissez, Serge Brassard l’informaticien, Bernard Parent le banquier, Laurent Robert le comptable, il est à l’endroit que vous pensez, au Marmelade, avec Gina, de la bière, et ce qu’il fait toujours là-bas : mesurer son espoir à la réalité que lui offre une équipe aux trois couleurs bien connues, qui sont celles qui découpent toutes les patinoires officielles qui se respectent. »
L’auteur a des lettres. Citant Montaigne et la Presse canadienne, la rue Victor-Hugo et le journaliste Michel Lamarche, il nous parle, en fait, du temps qui passe, celui qu’on perd à poursuivre des chimères, celui qu’on gagne néanmoins en cultivant l’amitié.
À l’aide d’un style truculent, Hugo Beauchemin- Lachapelle nous mitraille de gags à pleines pages comme d’autres tirent des rondelles à bout portant. Légère, mais pas volatile, sa surface de jeu est celle des mots et des clichés sur lesquels il surfe habilement. Même si on a tendance à soupirer quand on songe à ce sport où des brutes bien rembourrées se tapent dessus avec un bâton, on applaudit tout de même au sens du spectacle de l’auteur.
« Le seul grand mystère qui compte dans tout ça, c’est notre estie d’apathie collective, notre indécrottable, inaliénable, indétruisable apathie. »
Oui, mesdames et messieurs, il y a encore loin de la coupe aux lièvres!
Mario-Lemieux, bonjour
Michèle Nicole Provencher
La Mèche
192 pages
La surface de jeu
Hugo Beauchemin-Lachapelle
La Mèche
288 pages