THÉÂTRE: Slamer la mort

Gabriel L’Archevêque, Késia Demers et Antoine Pelletier dans Mourir tendre, photos: Daniel Julien-Inacio

Jeunesse, énergie, espoir. Ce n’est pas un cliché ici. Gabriel L’Archevêque, Késia Demers et Antoine Pelletier s’emparent d’un texte du dramaturge haïtien Guy Régis Jr, Mourir tendre, pour créer un hymne rap enflammé : résister aux éléments et aux hommes de mauvaise volonté, pour célébrer la réouverture du théâtre Prospero, du 15 avril au 1er mai.

Les trois créateurs de cette proposition de Mourir tendre se sont connus sur les bancs de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM. Sous l’œil et les encouragements de leur prof et directeur artistique du spectacle, Christian Lapointe, ils ont adapté et mis en scène Mourir tendre en musique. Un texte qui navigue entre l’esprit des tragédies grecques et de celles de Shakespeare.

La pièce du dramaturge haïtien Guy Régis Jr a été présentée à Territoires de paroles au Théâtre Prospero en 2019 avec les autres membres de leur cohorte. Ils y ont pris goût, ont formé leur compagnie Erapop et se lancent, cette fois donc en trio, dans leur version slamée de Mourir tendre.

« C’est une pièce écrite en longs monologues construits de façon répétitive et rythmique, décrit Antoine Pelletier. C’est comme ça qu’on a travaillé le texte avec la musique. Ça se prêtait bien pour la forme chanson. »

« Le texte était beaucoup plus long, ajoute Késia Demers. À Territoire de paroles, on était limité à une période de 45 minutes, on n’avait pas le choix de le condenser. Guy Régis était présent lors de cet événement et il était vraiment content de notre adaptation. On a reçu son appui. »

Mourir tendre est devenu un spectacle musical dans une conception sonore d’Antoine Pelletier qui, avec Gabriel L’archevêque, estimait que le genre hip hop coïncidait bien avec les paroles. De son côté, Késia Demers rêvait de faire du rap.

« On travaillait en répétitions avec le synthé, le loop et différentes pédales d’effet, explique Antoine Pelletier. On construisait la musique en même temps qu’on travaillait notre interprétation des monologues. »

« Au départ, il y avait un chœur formé du reste de la cohorte et du Grand chœur Centre-sud sous la direction d’André Papathomas, poursuit Gabriel L’Archevêque. C’était parfait. On était honoré de pouvoir faire partie de la saison du Prospero. Avec la pandémie, on a dû modifier la partie chorale pour ne pas avoir 20 personnes sur scène. Le spectacle a été reporté d’un an. « 

Beau défi

Mourir tendre représente un beau défi pour le trio. Texte tragique et poétique se déroulant dans un climat de fin du monde, il rappelle la relation impossible de Roméo et Juliette. La pièce narre la vie d’une femme, Perpétue, amoureuse d’Alexandre de qui elle voudrait un enfant, alors que le père de celui-ci s’interpose et… Amour et haine se confondent dans un drame sans nom.

Extrait du texte: « Tout ce territoire, tout ce pays, déjà étendu sous ces balles. Tout ce sang. Tous ces cris. Et maintenant cette folie ? Et maintenant ça. Pourquoi ça va toujours aussi loin? »

Un texte difficile mais qui a fait son chemin avec le temps dans la tête et le corps des interprètes. « C’est imprimé en nous, dit Gabriel L’Archevêque, le texte sort tout seul. » Késia Demers l’avoue : « Ça fait deux ans et demi qu’on le porte et ça me suit partout, même dans la rue. »

Mourir tendre est le bébé d’Erapop. La gestation du projet depuis l’école a été assez longue pour leur permettre d’apprivoiser également leurs débuts dans le métier, et ce, à tous les niveaux. Le texte de Guy Régis aura ainsi été examiné sous toutes ses coutures.

« Quant à l’écriture, raconte Antoine Pelletier, on avait vu toutes sortes de pièces avec Christian Lapointe à l’école, comme celles de Falk Richter et de Martin Crimp. Ce n’était pas facile, mais on avait envie de ça, de cette complexité là. Mourir tendre est tellement dense qu’on l’a compris peu à peu. C’est la beauté de la chose. »

Relève

Tous les observateurs en théâtre pensent que, devant l’engorgement de projets dans les salles, les artistes émergents et de la relève écoperont d’un manque de plages-horaires et de distributions restreintes. Mais le trio croit déjà avoir fait sa place cependant.

 » Nous sommes déjà dans l’après-pandémie quant à nous, note Késia Demers. On travaille sur notre prochain spectacle, même si la diffusion risque d’avoir lieu qu’en 2023. Le fait d’avoir notre propre compagnie nous sécurise dans un sens. »

« Nous sommes très chanceux, confie Antoine Pelletier. C’est sûr que ça va être grave pour les prochaines générations. On a terminé les cours juste avant que tout ça arrive. Nous avons une résidence de création planifié cet été. Avec notre compagnie nous voulons pousser le côté interdisciplinaire de notre démarche tout en se concentrant davantage sur notre interprétation. On va continuer à faire des adaptations contemporaines en s’éloignant des versions classiques des textes. «