
S’il est un spectacle à voir en ce moment, c’est Mourir tendre présenté au Théâtre Prospero jusqu’au 1er mai. Cette version ultra-moderne et énergique d’un texte empruntant autant à Shakespeare qu’à la tragédie grecque trace une voie originale pour les écritures poétiques que d’autres peuvent concevoir comme dépassées ou, encore pire, ennuyantes.
Slam, hip hop, rap… Ces genres musicaux contemporains ont certes leurs chefs d’œuvre, mais parfois, il faut reconnaître que les textes qu’ils supportent naviguent entre la vulgarité et la naïveté, le simplisme navrant et la violence gratuite. Rien de ça dans Mourir tendre du dramaturge haïtien Guy Régis Jr, grâce au travail acharné de la troupe Erapop qui devrait renvoyer certain·e·s auteurs et autrices de slam, notamment, à leur table de travail.
Avec l’appui de leur mentor Christian Lapointe, Antoine Pelletier, Késia Demers et Gabriel L’Archevêque ont mis en musique un texte ample, poétique, profond. Une tragédie amoureuse sur fond de guerre, de vengeance, de trahison. Et la musique, à base de rythmes divers et de basses fréquences, s’avère le parfait complément des longs monologues répétitifs qui constituent le texte. Le trio a découvert une voie intéressante pour mettre au goût du jour des « classiques » que l’on croyait démodés.
Le texte de Guy Régis Jr est contemporain, évidemment, mais il s’appuie sur des formes et des sujets classiques. Il raconte le destin tragique d’une femme, Perpétue, qui rêve d’amour et d’enfant, mais qui ne trouvera sur son chemin que violence et abandon. Comme interlocuteurs, l’ombre d’un amoureux et un chœur lui répondent, assurant une image plus grande que nature à ce drame intime.

La trame narrative fait beaucoup penser au travail du Français Laurent Gaudé dans plusieurs de ses écrits pour la scène ou le genre romanesque. Dans le même style, on se rappellera d’ailleurs la prestation extraordinaire d’Emmanuel Schwartz, dirigé par Denis Marleau, dans Le tigre bleu de l’Euphrate, une texte de Gaudé traitant de la vie, et surtout, de la mort d’Alexandre le grand.
Même chose ici dans la vision large et mythique de Guy Régis Jr. Mourir tendre devient un spectacle musical, mais il ne pourrait aller bien loin non plus s’il n’était pas porté par des interprètes issus d’une formation théâtrale qui savent bouger, utiliser leurs regards, leurs corps et leur voix pour amplifier ou nuancer.
Antoine Pelletier, Késia Demers et Gabriel L’Archevêque maîtrisent un texte difficile dans une mise en scène dynamique et y ajoutent même une touche d’humour en chantant une partie du texte sur une musique ressemblant à un chant choral populaire du type We Are the World…
Bref, il y a là quelque chose de fort original, pétillant et intelligent qui nous donnent déjà envie de voir la prochaine production de la troupe Erapop. Ils ont Stravinski dans la mire, ni plus ni moins.

L’entrevue:
https://mariocloutierd.com/2021/04/15/theatre-slamer-la-mort/