
Deux universitaires occupent le temps de la pandémie pour échanger entre eux. L’un, Michel Biron, est l’auteur de l’Histoire de la littérature québécoise et de La Conscience du désert. L’autre, David Bélanger, aussi directeur de rédaction d’XYZ. La revue de la nouvelle, a publié Il s’est écarté. Enquête sur le mort de François Paradis. Ils appartiennent à deux générations différentes et c’est sur le front de cette appartenance et d’allégeances qui se heurtent un peu, qui se mécomprennent un peu, qu’ils choisissent cet entretien par lettres.
On pourrait de prime abord penser que le bocal dont il est question est celui de leur réclusion, pandémie oblige. Il y a certes de cela car ils n’auraient pas entrepris ce projet sinon. Mais non! Ce dont il s’agit ici, ce semble être en premier lieu leur appartenance à la communauté universitaire et au milieu littéraire qui représentent, comme toute responsabilité et tout emploi, un bon lot d’obligations.
Bref, ils vont essayer de détrousser tout ce qui leur apparaît trop évident dans leurs réflexes idéologiques et leurs convictions intimes par rapport à leur engagement pour ne pas devoir s’en méfier. Ils vont aussi le faire hors des forums habituels de leurs échanges, normés, via textes de fond, communications de colloque; en bref, hors de tout l’apparat qui accompagne les fonctions de ce professeur titulaire et de ce chargé de cours.
On ne se surprendra donc pas trop de voir leur premier sujet d’intérêt être l’ironie, telle qu’elle se présente, différente ou de même statut, c’est variable, dans les romans de Réjean Ducharme et de François Blais. Entre ces deux représentants de génération différente, le débat est amusant et vif. Selon le plus jeune, le monde a tellement changé entre les deux périodes qu’on ne peut voir ces deux auteurs appartenir à une même lignée. Les héros ducharmiens s’en prenaient à la Littérature, la grande, issue de la grande culture. Les personnages de Blais réagissent à l’institution de celle d’ici, et tous ses acabits, son accompagnement usuel, monde de l’édition et du journalisme confondus.
D’une certaine façon, cela même est assez cocasse. Car cette institutionnalisation de la littérature québécoise, son apparat, est assez récent. Un demi-siècle à peine! Devant cette absence des maîtres dont parlait Michel Biron dans un livre au titre évocateur, publié en 2000, on pouvait s’en donner à coeur joie! Pointe un semblant d’institution et bang! On varge dans le tas! Hâtons-nous vers une normalité où enfin existe une Grande Norme que l’on puisse contester! Comme si on était pressé d’arriver à ce rapport normal entre Anciens et Nouveaux qui témoigne du fait d’être enfin advenus à la culture, palier supérieur de civilisation!
Univers culturel
La suite ne tarde pas. Le rapport à la culture devient sujet d’échanges et d’observations. Dans un coin, il y a le lointain des références proprement françaises que peut ressentir quelqu’un de la génération de David Bélanger. Dans l’autre, les expériences de Michel Biron qui s’y est frotté, lors d’un séjour d’études en Belgique. Il est frappant de voir que les deux expriment un même doute, par rapport à cet univers culturel, à l’avènement à un type de culture qui est chez nous toujours un peu contraint, un peu malaisé! Il faut lire pour comprendre que rien n’est si nouveau sous le soleil! Maria Chapdelaine le disait déjà : Rien en change au pays du Québec!
C’est intéressant, certes. Il y a là de la hauteur dans les vues et les opinions, du doute et un peu d’errance, des pas de côté dont on est parfois surpris qu’ils nous ramènent au sujet! Mais il arrive aussi que l’intelligence soit un peu hautaine, qu’elle se manifeste dans des a priori postmodernes un peu intransigeants. Mais plus on avance dans la lecture, plus le doute est là!
Il y a aussi des moments où le lecteur se désespère quelque peu. Comme si, pris entre les deux, dans l’entre-deux-chaises de leur conversation, il était un peu excédé, oublié! Comme si le dialogue l’oblitérait! Les préoccupations par rapport à la littérature québécoise portent un peu trop sur la descendance qu’a pu nous valoir notre propre obsession à l’égard de Réjean Ducharme et de son univers.
Dans cet étroit sillage, la littérature québécoise, à les entendre, ne sortirait jamais d’elle-même, absorbée à façonner des êtres hors-jeu, hors-monde, hors-norme, se maintenant elle-même dans cet hors… sous couvert de lucidité. On écrirait donc pour ne pas se mouiller… et pour revenir sur le fait que c’est mieux ainsi. Tout pouvoir corrompt, a-t-on déjà dit. Tout engagement fait de même, doit-on croire.
Ne mentons pas non plus! Il arrive qu’on se dise qu’à autant gloser, de l’intérieur même du bocal, à propos de ce qu’on pourrait faire pour en sortir, il est attendu qu’on s’y retrouve sans cesse. Il me semble, quant à moi, à lire certaines œuvres, que quelque chose se prépare, que des univers sont en voie de formation et que des livres naîtront qui chercheront à passer outre cette limite sur laquelle les deux complices de Sortir du bocal ont buté, qu’ils ont peut-être commenté jusqu’à l’épaissir encore plus.
Mais ils auront au moins, peut-on se dire, douter avec élégance!
David Bélanger, Michel Biron
Sortir du bocal
Éditions du Boréal, Collection Liberté grande
2021
232 pages