THÉÂTRE : AlterIndiens, la difficile (ré)conciliation

Étienne Thibeault et Violette Chauveau, photo: Jean-François Brière

La compagnie Menuentakuan – Charles Bender, Xavier Huard et Marco Collin – entame sa résidence à la salle Fred-Barry avec une pièce de Drew Hayden Taylor, AlterIndiens, qui aborde la difficile (ré)conciliation entre des groupes, duos, couples dysfonctionnels, qu’ils soient autochtones, allochtones, écologistes, végétaliens ou militants radicaux. Un texte drôle et percutant.

AlterIndiens c’est un souper presqu’imparfait qui n’est pas sans rappeler Le dieu du carnage de la Française Yasmina Reza. Une rencontre « amicale » devient un combat à finir entre, cette fois, non pas deux mais trois couples : un jeune auteur autochtone rêvant d’écrire de la science fiction avec sa compagne juive plus âgée qui enseigne la littérature autochtone, un couple de militants autochtones et un duo de vétérinaires végétaliens allochtones.

La table est mise pour un public amateur de pugilat verbal et il ne sera pas déçu. Charles Bender a traduit le grand auteur ojibwé Drew Hayden Taylor (AlterNatives) dont l’humour caustique n’épargne aucun des personnages ou des cultures qu’il met en scène, autant dans ses romans que ses pièces de théâtre.

Lisez notre entrevue avec Drew Hayden Taylor : https://mariocloutierd.com/2021/03/04/litterature-drew-hayden-taylor-territoire-non-cede/

« C’est un spectacle en haute voltige verbal, un texte qui a du souffle, explique le metteur en scène Xavier Huard. Quand les six personnages embarquent dans le mouvement, ça donne des échanges croustillants. Il y a unité de temps, ça commence et ça finit avec le repas. »

« Quand j’ai lu cette pièce, poursuit-il, j’avais l’impression de tomber sur quelque chose de nouveau dans le paysage théâtral à Montréal. Je crois qu’on va traduire de plus en plus Drew Hayden Taylor en français. »

Clichés

La pièce fait exploser plusieurs clichés et stéréotypes sur les autochtones autant que sur les allochtones, sur les militant·e·s, les végétaliens, etc. Il n’y a rien de folklorique dans ce regard acéré sur les relations humaines, peu importe la culture dont on émane.

« Drew a choisi une esthétique et un ton qui se rapprochent de la sitcom et qui s’intéressent aussi à la science-fiction. C’est ce qui nous a influencés avec les concepteurs qui sont aussi autochtones et allochtones. On s’est inspiré de la couleur de Drew. Mais ce n’est pas tant la mise en scène qui compte que la prise de parole autochtone. On a peaufiné la pièce dans ce sens-là. »

Les sujets du racisme et des chocs culturels sont abordés, mais aussi des idées reçues, de l’appropriation, du colonialisme et de (ré)conciliation, possible ou non. Crument ou en filigrane.

« Toutes ces discussions sont importantes et c’est ce qu’on encourage avec Menuentakuan. Dans la pièce, il y a un esprit autocritique important. C’est une excellente façon d’aborder des sujets de manière collective. Mais ni Drew ni nous ne prenons position sur les opinions des personnages qui sont pourtant tous convaincus d’avoir raison. La faille est toujours la porte d’entrée d’un personnage. Comme artistes, ça aide même à nous remettre en question. »

Une pièce à texte et à message comme AlterIndiens exige du rythme et, donc, de la rigueur. Tout est dans la sauce que prépare le chef en relation étroite avec les convives.

« Le défi était de rendre ces échanges pour que tout semble facile, que ça soit naturel avec des personnages qui se coupent la parole. Le texte doit devenir un tableau en soi. avec un tel spectacle, tu guides et te laisses guider aussi. souvent, les interprètes retrouvent leurs propres réponses. Ça ne me dérange pas d’avoir tort parfois. Patrice Chéreau disait qu’on peut se tromper quelques jours avant la première et que ça nous amène ailleurs. »

Expérience

Comme jeune metteur en scène, Xavier huard sait qu’il a encore des croûtes à manger quand il travaille avec des actrices comme Violette Chauveau et Marie-Josée Bastien.

« Quand j’ai travaillé avec Yves Desgagnés, j’ai appris aussi à échanger avec lui sur le personnage. C’est une leçon d’humilité où l’on apprend beaucoup sur soi. Ce sont de beaux apprentissages. il faut dire que je suis sorti en 2013 de l’École nationale. »

Et si on parle souvent du manque de travail pour la relève au théâtre en ce moment, ce spectacle donne l’occasion à de jeunes comédien·ne·s de faire leur marque.

« Je prédis qu’Étienne Thibeault, Charles Buckell Robertson et Lesly Velasquez sont des interprètes très talentueux dont on va beaucoup entendre parler dans le futur. Étienne est aussi musicien. Charles commence à faire parler de lui sur des tournages. Lesly est d’origine mexicaine et on la voit de plus en plus au théâtre. »

Voilà qui s’annonce comme une découverte intéressante en cette rentrée théâtrale. Tout comme le fait que Menuentakuan passe de troupe nomade à compagnie en résidence au Théâtre aux Écuries cette année.

« On a plusieurs projets et on veut en profiter également pour parrainer ou donner de la place aux artistes de la relève. On fait déjà des ateliers dans les communautés et ça va continuer », conclut Xavier Huard.

Leur prochaine production, un texte de Marco Collin sur la transmission, sera d’ailleurs présentée en première à Jonquière.


AlterIndiens est présentée à la salle Fred-Barry du 7 au 25 septembre