
Le troisième roman d’Éric Mathieu cristallise un style unique nageant dans les eaux glauques du subconscient. Dans la solitude du terminal 3 décrit le passage à l’âge adulte d’un jeune homme troublé, anxieux et dépendant affectif. À peu près tous les personnages souffrent de la solitude dans ce récit mystérieux, hanté par la figure maternelle.
Éric Mathieu voulait entrer dans la vie des gens fragiles dans ce livre sombre. Le personnage principal Nathan Adler est un jeune désœuvré en quête d’identité qui suivra une route captivante, mais délétère, où il se retrouvera avec une bande d’amis ayant pour gourou un écrivain étrange et violent.
« Je ne suis pas sûr qu’ils s’aiment les uns les autres, note le romancier. Nathan est jeune et très influençable. À 19 ans, on veut exister. Sa mère est morte, son père absent, il est facile pour lui de se laisser aller avec cette bande d’amis toxiques. Il éprouve du mal à s’en sortir. L’écrivain à la tête du groupe, Antoine Dulys, est quelqu’un de très créatif, ça le fascine et il revient toujours vers lui malgré tout. «
Inspiré par un fait divers, l’écrivain dit trouver dans les médias des histoires extraordinaires qui n’attendent qu’à être fictionnalisées. Au départ, toutefois, il souhaitait raconter comment il se sentait, lui, à l’âge de 19 ans.
« Évidemment, je n’ai pas vécu ce qu’il y a dans le livre. J’étais à Londres. Je sortais et buvais beaucoup. Je voulais aussi parler de ma mère qui était alcoolique et des liens avec le fils. J’ai voulu retrouver ma mère par l’écriture parce qu’elle me manquait à l’époque. Mais c’était plus facile d’inventer que de raconter le réel, ce que me permet l’entre-deux du terminal 3. »
C’est dans cet endroit surnaturel, onirique, que Nathan peut revoir celle qui lui a donné la vie. La fiction donne l’espace nécessaire à Éric Mathieu pour ne pas trop se coller à la réalité et aux émotions qui en découlent tout en racontant une histoire qui tient la lectrice et le lecteur en haleine.
Création
Si les thèmes lui viennent en premier en écrivant – identité, jeunesse, alcool, figure maternelle – des scènes lui apparaissent assez rapidement dans le processus.
» La première scène est importante parce qu’elle raconte un accident de voiture avec un personnage mystérieux, Adam, qui est un peu un double de Nathan. J’aime bien cette idée du double. Ensuite m’est venue l’idée de faire entrer la mère dans l’histoire par un lieu liminal comme le terminal d’aérogare. »
Tout est aussi affaire de rythme et de mettre aux bonnes places les différentes pièces du puzzle assez complexe de ce livre. Après les premières scènes, l’écrivain en vient donc à élaborer un plan.
« Je sais toujours comment ça finit avec la dernière phrase qui me permet d’aller jusqu’au bout. C’est là qu’il faut définir ce qui va au milieu pour faire avancer la narration. C’est de la construction et le plan devient nécessaire pour m’aider à terminer. L’agencement des scènes est difficile parce que je me mets toujours à la place du lecteur. «
Genres littéraires
La force d’Éric Mathieu réside, entre autres, dans sa capacité à mélanger les genres littéraires. En même temps qu’on pourrait y voir un peu d’autofiction dans le personnage gay de Nathan, il y a un aspect psychologique très fort dans le livre et quelques scènes s’apparentent plus à de la dystopie ou de la science-fiction.
Les addictions – drogues, alcool, sexe – sont également au cœur des aventures des divers personnages qui cherchent une porte de sortie, mais n’en trouvent pas. Se rendant ainsi vulnérables à ceux qui peuvent en profiter.
« Au delà des plaisirs qu’ont les uns et les autres, le problème est la question de pouvoir. Cet écrivain plus vieux, il a quand même une responsabilité de protéger Nathan. Il ne le fait pas vraiment. Il en abuse, en fait, au niveau psychologique. Il exerce aussi son pouvoir sur la bande qui l’entoure. »
Le personnage d’Antoine Dulys possède tout de même un côté attachant. C’est un être brillant qui aime partager son savoir, par exemple.
« Nathan réussit d’ailleurs à réaliser son rêve d’écrire à la fin. C’est une relation compliquée dans laquelle il aura pu apprendre des choses. Dans une relation abusive, tout n’est pas noir, mais en même temps, c’est très triste. On peut décrire Antoine Dulys comme un pervers narcissique. Le côté positif c’est que le roman traite de création littéraire et de la manière dont le réel nourrit la créativité. »
Finalement, c’est le livre de Nathan Adler qu’on tient entre les mains. Éric Mathieu ne le niera pas. Son roman fort abouti sait nous entourer d’un mystère servant à nous faire croire qu’il parle de lui, sans vraiment le faire.

Éric Mathieu
Dans la solitude du terminal 3
La Mèche
306 pages