
Expérience sonore immersive, Ciel à outrances est d’abord un recueil de poésie dont Brigitte Poupart, de la compagnie Transthéâtre, s’est inspirée pour créer un univers théâtrale inusité. De nationalité canadienne et américaine et vivant à New York, Madeleine Monette est l’auteure de la suite poétique en question qui a, comme toile de fond, les événements du 11 septembre 2000.
Madeleine Monette était aux premières loges, on peut le croire aisément, pour assister à la dévastation dont elle tente de nous peindre le portait. En fait, elle a même marché parmi les décombres. L’expérience sensorielle, à laquelle nous convie Brigitte Poupart, semble bien chercher à évoquer ce que l’auteure a pu éprouver et ressentir, tous ses sens et toutes ses émotions mises en alerte.
Nous, spectateurs de ce spectacle qui est reconstitution prenante, sommes tout de même mieux préparés. Sans savoir ce qui nous attend, on sait tout de même que quelque chose nous attend, au contraire des New-yorkais (et du monde entier) projetés tout de go, en ce matin de presque automne, en plein cauchemar. Tout de même, on doit se prêter à un rituel singulier et cela même charge déjà l’atmosphère, nous leste d’une certaine gravité. Cette préparation, en plus, est en partie motivée par cet autre cauchemar, version 2020-2022, qu’est la pandémie.



On a donc droit à un accueil et à des explications. Tout pour nous dire que, plus qu’à un spectacle auquel on assisterait, c’est à un rite qu’on va communier, en petits regroupements. Me voilà donc, casqué, lâché en pénombre, fidèle, adepte, communiant! Flanqué d’autres officiants, je pénètre dans une pièce sombre, à l’éclairage provenant de derrière des murs donnant jour par le bas. Là où je suis enfin, tout est, principalement, poussière, gravats, restes d’une ville. Cela doit ressembler à des parties de certaines communautés d’Ukraine. Comme quoi la folie des humains ne semble pas connaître de trêve!
Nous voilà donc en plein lieu de débâcle. Des voix nous adressent leurs petites misères, car certaines ne savent encore rien de ce qui va se passer. La mort, en ce matin de New York, est déjà présente par la petite veuve qui est la première à se manifester. Ainsi, de voix en voix, on approchera de plus en plus le centre et le coeur de l’apocalypse de cette ville.
En ajout avec cette femme dont le monde s’est écroulé déjà, avec la mort de son mari, il y aura la jeune femme enceinte, qui accouchera tantôt, se demandant dans quel monde naîtra son enfant. Il y aura aussi l’homme qui s’est tatoué sur le corps un peu de sa plus récente flamme, qu’il a laissée s’échapper et dont il est content de savoir qu’elle vit encore, au sein de cette folie meurtrière. Il y aura une femme qui marche, parmi ceux qui vivent encore et qu’on imagine être Madeleine Monette elle-même. Et d’autres, encore…
Dans ce cénacle de la mort dont on tente d’évoquer les décombres, l’on marche comme elle. On la retrouve dans cette messe tragique. Le spectateur va de station en station, guidé par des lumières qui ponctuent ce chemin de croix. Il a la tête inclinée à la recherche d’objets évocateurs. On conviendra que l’essentiel de ce travail théâtral se trouve dans le sonore, dans ces voix et ces effets qui nous résonnent dans les oreilles et vont jusqu’au coeur.
Ce ciel dont il est question dans le titre, on le devine bouché, rempli des cendres qui sont les dernières manifestations de ceux qui sont partis, fauchés par cette folie. Il prend la densité de la commémoration. Des secousses et des bruits, un roulement intermittent, grondements des effondrements, retentissent à l’occasion et nous ébranlent. On a, sous nos pieds, ce qui reste. Cela est bien peu. On souhaiterait un peu plus d’effets dans ce décor gardé au plus strict. Quelques élévations, de-ci de-là, nous auraient peut-être mieux aider à concevoir l’inconcevable; qu’encore hier, quelque chose s’élevait là où maintenant plus rien n’existe. Que ce que nous avons là, sous pieds, est ce qui reste de bien des corps et de bien des êtres.
Ce qui est déjà poignant dans les voix qui racontent, dont celle de Dany Laferrière qui a été témoin, on le sait, du séisme à Haïti, aurait été adéquatement repris et décuplé par ce lieu que nous arpentons, à la recherche de fantômes.
Ciel à outrances
Centre Phi, du 17 février au 15 mai 2022
Expérience sonore de Brigitte Poupart, sur des poèmes de Madeleine Monette