
L’an dernier, on a commémoré les 50 ans de la mort de Claude Gauvreau. Ce texte a donc connu une première parution, à 50 exemplaires, proposée par les Nouvelles Éditions de Feu-Antonin. Une seconde édition était alors prévue et c’est chez Leméac qu’elle voit aujourd’hui le jour.
Ce tombeau de Claude Gauvreau n’est pas très bien scellé. Car il s’avère qu’en cette occasion, l’auteur n’a pas fini ses pérégrinations. On dirait que son vol n’en finit plus, qu’il ne cesse de tomber encore et encore, comme en cette journée du 7 juillet 1971, depuis le toit du 4064 rue Saint-Denis. Il se livrait à un exercice qui lui était rituel, levant des haltères sur la toiture de son immeuble. Suicide, déséquilibre, vol plané d’un halluciné; dans ces deux derniers cas, possiblement abruti par sa médication : on ne le sait pas vraiment et l’enquête ne permet pas de trancher.
Parc Lafontaine, Promenade Bellerive, port de Montréal, caverne de Saint-Léonard, Stade Olympique, le décédé incinéré ne dérougit pas. Il va de place en place, de lieu en lieu, voir ce qui a parfois été construit après sa mort. Au travers ces errances, on refait la parcours de sa vie. Sa jeunesse, ses coups de coeur, sa fidélité indéfectible à l’égard de Borduas, son amour probablement trop exalté pour ne pas faire peur à la dulcinée, Muriel Guilbault: tout y est.
On visite même ses frères littéraires, comme Antonin Artaud, les sceptiques à son égard dont fut Jacques Ferron. Et on ne saurait oublier qu’il fut, très jeune, un des signataires de Refus Global, le frère incorruptible au sein de ces compagnons de route, en cette époque dont il semble avoir la constante nostalgie.
Ses réalisations théâtrales et littéraires sont évidemment de la partie : parution des Entrailles, des Oranges sont vertes, les Oeuvres créatrices complètes, après sa mort. Il va en plus galoper dans les environs de Saint-Jean-de-Dieu [désormais nommé Louis-Hippolyte Lafontaine], envoyé là lors de certains excès, soigné à la mode du temps, c’est-à-dire assez mal finalement, en regard d’aujourd’hui.
Le tour de force de Thierry Dimanche est tout entier là, dans cette unité qu’il finit par créer d’un amalgame de faits biographiques, d’extraits des écrits de Gauvreau et d’autres, de références à l’histoire familiale, en plus de clins d’oeil à la fortune critique de cet auteur. Il réussit en plus à ponctuer son texte commémoratif de formules et de tournures qui pourraient bien être de Claude Gauvreau même. Tout cela en le faisant galoper à travers Montréal, tombant sans jamais atteindre le sol, dirait-on, tout élan d’élévation forcenée.
Cela permet de revenir à Gauvreau et à l’époque dont il fut le héraut, au mythe qu’il chercha à incarner à lui seul. C’est un autre temps, en phase avec d’autres apôtres de la démesure, qui lui ressemblent, comme Alfred Jarry. Avidité orale, déchirement, dévoration, dit-on dans ce petit livre de ce que représentait la cruauté pour Artaud.
Chez Gauvreau, c’était recherche d’une incandescence du verbe, passant par l’implacabilité catégorique des formules et des images. On le lit aujourd’hui et on s’interroge quelque peu sur cette surenchère grandiose de l’expression qui cache, on le dirait bien, une certaine inadéquation au réel d’un enfant protégé des contrariétés du monde et divinisé par sa mère (comme le lui fait dire Thierry Dimanche), totalement imprégné et gagné par son propre imaginaire.
Le jour de sa chute mortelle, peut-être avait-il les yeux un peu trop rivés sur son idéal…
Thierry Dimanche
Tombeau de Claude Gauvreau
Éditions Leméac, Collection La petite blanche, 2022
135 pages