
L’émergence de la parole autochtone contemporaine est l’une plus belles occurences sur les scènes québécoises depuis quelques années. Et la pièce de Soleil Launière, Akuteu, participe à ce mouvement hétéroclite et luxuriant, sachant autant évoquer la tradition que la vie complexe d’aujourd’hui.
Avec Akuteu, la talentueuse artiste multidisciplinaire, Soleil Launière présente son premier texte de théâtre, Akuteu, mais il ne s’agit pas des premières paroles de son cru présentées sur scène depuis ses débuts en 2008. La créatrice originaire de Mashteuiatsh a utilisé à maintes reprises la performance, la technologie, la musique (elle chante), la danse (elle danse aussi très bien), mais aussi le texte, dans une moindre mesure il est vrai, seule ou avec d’autres. Et ce , même dans la performance Meshtitau présentée lors du dernier FTA en 2021.
Cette fois, c’est différent. Il s’agit d’un travail éminemment personnel où Soleil Launière parle de sa vie en adresse directe au public. Elle intercale ses confessions – tantôt drôles, tantôt touchantes comme cette tirade nommant des femmes et filles autochtones disparues ou assassinées – par des envolées plus poétiques axées sur ses origines, sa communauté et ses pratiques ancestrales. Elle nous parle de racisme et de préjugés, de résilience et de créativité dans un esprit ludique, un clin d’oeil dans la voix et une tempête dans le regard.
Il n’y a pas là de prêchi-prêcha de sa part. Au contraire, malgré un propos souvent grave, l’artiste affiche une candeur rafraîchissante en avouant ses propres manques, comme celui au sujet de son nom en Innu qui veut dire « celle qui transforme la pluie en arc-en-ciel », mais qu’elle ne saurait plus prononcer dans sa langue maternelle. Tout le spectacle est marqué par ces aveux souriants et cette volonté de dire qui elle est vraiment sans chercher à se cacher, ni à susciter le pathos d’ailleurs.

Dans la petite salle Jean-Claude Germain, la scénographie se veut simple et symbolique avec des troncs d’arbre au sol et des billots suspendus dans les airs. Au centre, de vert vêtue, Soleil Launière évolue sur une plateforme vitrée parcourue par des barraux qui font penser à une prison. La bande sonore renvoie à un climat plus spirituel avec, complémentaires, de très belles courtes scènes dansées ou chantées.
La quête identitaire de l’artiste ne se porte pas vers le politique, mais souligne l’ambiguïté de sa propre autochtonie. Trop blanche ou pas assez autochtone, les doutes ont marqué toute la vie de Soleil Launière. il ne s’agit pas non plus d’une position victimaire, davantage un tremplin qui en font l’artiste qu’elle est devenue. Soleil Launière s’est entourée d’une excellente équipe, dont Johanne Haberlin à la mise en scène, qui a su l’appuyer dans le but de créer un rythme soutenu grâce à des scènes bien délimitées dans le temps et l’espace.
Même si le texte peut paraître malhabile par moments, images involontairement floues ou bancales, il s’agit d’un premier pas – il y en aura un autre lors de sa résidence au CTDA – important. Les qualités de l’ensemble de sa prestation confirme que Soleil Launière est là pour enchanter encore et encore le monde de sa vision qui sait accorder la place autant au passé qu’au futur, le sien et celui des siens, dans un monde encore trop indifférent ou carrément hostile.
Akuteu fait référence à « un objet suspendu » en innu, et plus précisément à un orignal pendu par les pieds » à ses yeux. L’artiste dira avoir l’impression d’être déracinée et d’évoluer au-dessus du vide. Cette création prouve la nécessité de sa démarche exploitant une riche palette de couleurs. Akuteu démontre aussi qu’elle possède tous les outils dramaturgiques et scéniques pour un atterissage réussi sur la planète, sa planète, théâtre.

Akuteu est présentée à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’aujourd’hui jusqu’au 7 mai.
Infos: theatredaujourdhui.qc.ca