FTA : Pour la suite des bélugas

La conquête du béluga, crédit : Benoît Daoust

Du 25 mai au 9 juin prochains, le 16e FTA ouvre grand les voiles avec un retour important en présentiel. Le festival se montre moins européo-montréalo-centriste et à l’écoute de créateurs et créatrices qui gagnent à être davantage reconnu.e.s. C’est le cas de l’artiste de l’année 2020 en Gaspésie, Maryse Goudreau, qui se consacre depuis dix ans à une oeuvre-archive sur les bélugas. Cette créatrice multidisciplinaire présente au FTA sa pièce écoféministe, La conquête du béluga.

Il y a 60 ans, le cinéaste Pierre Perrault présentait Pour la suite du monde, son chef d’oeuvre documentaire portant sur les habitants de l’Île aux coudres et leur reprise d’une pratique abandonnée 38 ans auparavant, la pêche au marsouin ou béluga. Depuis 1924, et même depuis 1962, le monde a passablement changé. Dans le fleuve Saint-Laurent, le béluga est une espèce protégée et sa mise en captivité, depuis 2019 seulement, est interdite.

Avec son approche multidisciplinaire, Maryse Goudreau a fouillé plus loin que ces faits bien connus. Depuis 2012, ses recherches sur le superbe mammifère marin ont porté, notamment, sur les enjeux politiques abordés dans les parlements québécois et canadien. La conquête du béluga se base sur une transcription sélective de 150 ans de débats à la Chambre des communes en lien avec ce qu’on appelait au début, comme au temps de Jacques Cartier, les marsouins.

Les débats parlementaire nous en apprennent d’ailleurs beaucoup sur le béluga au Canada. Cette petite baleine passera, avec le temps, de simple marchandise à exploiter à espèce à protéger. Il y a près d’un siècle au Québec, on faisait encore exploser les bélugas à la dynamite pour en tirer, entre autres, de « l’huile à mâchoire ». À une certaine époque aussi, le lobby des fermes laitières est intervenu pour stopper la chasse aux bélugas, non pas pour les protéger, mais parce que son huile pouvait nuire au commerce du beurre…

Et si, de nos jours, le mammifère marin est en train de disparaître au Québec, dans le Nord du pays, il y en plus de 55 000. L’approche documentaire du spectacle permet donc de relativiser les choses.

Maryse Goudreau, photo: Mathieu Bouchard-Malo

« Je vis un peu d’anxiété par rapport à l’environnement, dit Maryse Goudreau. Quand on reste collés sur le moment présent, c’est tragique, mais je voulais prendre du recul et adopter une perspective historique dans le spectacle. Par exemple, c’est marquant de voir que lorsque les femmes commencent à être élues, le rapport au vivant change. On délaisse peu à peu l’esprit mercantile pour se soucier du vivant autour de nous. »

Texte parlementaire

Elle est une adepte des écrits du poète américain Kenneth Goldsmith, auteur notamment de Uncreative Writing : managing language in the digital age, qui enseigne l’écriture par appropriation. En fouillant les archives du parlement, Maryse Goudreau s’est donc rendu compte qu’elle pouvait couper et coller des extraits qui allaient former l’ossature de son texte.

« Le spectacle ressemble à une lecture avec cinq députés devant leur lutrin qui s’écoutent parler et qui lisent leur discours politique, explique-t-elle. Ce que livrent les comédiens ne diffère pas beaucoup de ce que les députés peuvent dire au parlement. »

Philippe Cyr a mis en scène la pièce présentée l’an dernier à Carleton-sur-mer. Au FTA, c’est Johanne Haberlin qui prend sa relève à Montréal. Catherine Audet, Pierre-André Bujold, Kevin Doyle, Johanne Lebrun et Dany Michaud en sont les interprètes. Autre différence notable, le spectacle ne se déroule pas devant la mer comme en Gaspésie, mais devant le fleuve dans le Vieux-Port.

« On garde le même esprit. Je trouve ça fascinant de savoir qu’au même endroit, le Quai de l’horloge, les gens se rassemblaient pour voir le rorqual nager dans le Saint-Laurent en 2020. Les deux petits rorquals qui étaient à Montréal récemment ne se trouvaient pas dans le même secteur. »

Passionnée de la vie

La passion de Maryse Goudreau pour les bélugas ne date pas d’hier. Sa route est parsemée de moments émouvants partagés avec les blancs cétacés qu’elle photographie, filme et prend en photo. Elle a réalisé, entre autres, un gros plan d’oeil de béluga en 2016 dans un aquarium du Connecticut qui l’a profondément marquée. L’artiste a également participé à des activités de recherche sur les causes de mortalité de certains spécimens.

« Je me suis donné 20 ans pour réaliser ce projet. Je suis donc à mi-parcours. J’avais l’impression que, de mon vivant, les bélugas du Saint-Laurent s’éteindraient. Mon travail en est un d’accompagnement, d’investissement sensible. Avec les arts vivants, j’ai l’impression que de nouveaux chemins s’ouvrent devant moi. »

À preuve, dans le cadre des terrains de jeu du festival, elle offrira Dans le ventre de la baleine, une oeuvre sonore et tactile pour une seule personne à la fois qui se déroulera au QG du FTA. Elle participe également au spectacle de clôture du OFFTA avec Safia Nolin.

« On a monté un spectacle lors d’une résidence artistique l’été dernier qui s’appelle Feu de forêt et qui explique comment les incendies dans les bois se rendent jusqu’aux baleines. On s’est inspiré un peu de L’évangile en papier de Claude Lafortiune et on a tenu à présenter le spectacle dans un sous-sol d’église », conclut-elle en riant.

La conquête du béluga, crédit : Benoît Daoust


La conquête du béluga est présentée dans le cadre du FTA du 3 au 5 juin à la Place de l’horloge dans le Vieux-Port de Montréal. Maryse Goudreau a également publié deux livres sur le même sujet: L’histoire sociale du béluga et La conquête du béluga aux Éditions Escuminac. Infos: marysegoudreau.com

Feu de forêt est présenté dans le cadre du oFFTA à le 5 juin à Fabrique de la paroisse Saint-Édouard.

Infos: fta.ca