LITTÉRATURE : Métisserie québecréole

D’origine togolaise, Radjoul Mouhamadou parle anoufoh, haoussa et français, notamment. Publié chez Somme toute, son essai Créoliser le québécois soutient que la langue d’ici pourrait devenir un créole affichant à la fois sa différence et sa vitalité. Ce sujet délicat est traité avec une certaine candeur qui pourrait, toutefois, être mal interprétée.

Radjoul Mouhamadou est au Québec depuis 2016. Il est du Togo et poursuit actuellement des études de maîtrise en études internationales, à l’Université Laval. Sa formation de sociologue et sa grande curiosité l’ont amené à s’interroger sur sa nouvelle patrie. Il se targue d’avoir plusieurs langues maternelles au sein desquelles il compte le français. Mais, à ses parlures natales que sont l’anoufoh de sa mère et le haoussa de son père, il ne désespère pas d’ajouter à ce tableau de chasse, un jour pas si lointain, le québécois.

Son essai s’emploie d’ailleurs à envisager pour celui-ci qu’il évolue jusqu’à devenir un nouveau et différent créole. Déjà, le québécois représente à ses yeux une possibilité d’expression renouvelée et possède le net avantage de pouvoir revitaliser le français. En fait, c’est que sa définition de ce qu’est une langue se fonde sur le cadre géographique et territorial où elle se déploie. D’où sa conviction que le québécois forme un topolecte, lié à son histoire, sa géographie, sa politique et sa symbolique propres.

Parce qu’implanté dans un terreau nouveau, ce français s’est mué en quelque chose de différent. Ensauvagé, fruit de rapaillages, c’est un dialecte de parler monstrueux, une parlure qui n’a pas le verbe hautain du français dit universel mais bien la vitalité du lieu où il résonne. En lui, s’entend une déparlure, hantée par des frottements avec d’autres langues, craignant pour la pureté de la sienne; pureté qui n’est jamais qu’une illusion. Il affronte les autres parlers, se mesure à eux, rencontre le divers, renaît dans ce divers. Radjoul Mouhamadou en vient même à citer Jean Désy, reprenant ce désir d’une Amériquoisie, représentée dans une langue faite de « bouscueils et de glaciels répandus sur d’infinis estrans », langue d’une nordicité fortement teintée d’amérindianismes.

Devant cet argumentaire, on ne sait trop comment réagir. Tout cela repose que une érudition enviable, qui puise des idées dans la pensée d’Édouard Glissant et qui explore aussi du côté d’auteurs québécois. Non, clairement, l’auteur a bien potassé son sujet. Tenir un tel propos, on en conviendra, a tout pour plaire à ses nouveaux compatriotes. Cela ne peut que nous flatter dans le sens du poil. Mais il semble bien sincère quand il s’efforce tant de nous convaincre que ce qui se fait ici est digne de mention et revêt un potentiel d’évolution vers une survivance qui se fera en français ou en quelque chose qui en sera dérivé.

Au surplus, l’auteur écrit fort bien. Il a lui-même de ces expressions qui doivent lui venir de son expérience propre du français, combinée à sa nouvelle expérience en terre québécoise. Il est assez savoureux de le voir espérer la naissance d’un sorte de créole québécois, alors qu’il semble tant jouir de sa propre verve. Je le dis ici sans intention méchante et sans vouloir dévaluer l’entreprise. Le lire fournit son lot de moments jouissifs.

En plus, l’auteur joue d’une certaine naïveté, bien pratique. Certes, il est convaincu que les langues évoluent et que la langue d’aujourd’hui est le créole d’hier. Cela est indéniable. Mais il fait montre d’une certaine discrétion. Il l’exhibe bien à propos. Certains chapitres commencent de la même manière, sous le sceau d’un secret qu’il tient à nous dire et qui n’en est pas, ou plus, un. Il n’abuse pas du procédé, mais il tient à nous dire des choses sur nous, d’un point de vue extérieur et cela ne va pas sans mal. Il pourrait être mal compris, mal interprété. D’où la feinte humilité.

Devant ce réquisitoire, j’ai bien envie de faire renaître l’épisode du joual. Car lui n’y fait jamais illusion. Il n’est question, sous sa plume, que du québécois. Sauf, peut-être, quand il en réfère à Miron qui a tant mal à sa langue, inguérissable en celle-ci. Et il est vrai qu’il voit autant ce québécois comme un état actuel de la langue au Québec que comme un pari sur l’avenir, projeté comme avènement futur. Il verrait sans doute ce joual, construction d’intellectuels au début des années 60 comme une manifestation anxiogène de collapsologie, portée par une sorte de xénophobie lexicale.

Il est vrai qu’avec lui, il n s’agissait pas seulement d’emprunt lexicologique mais de copie syntaxique, comme cela arrive parfois dans la bouche d’un franco-minoritaire du Canada. Cet état des choses a cependant été une réalité. C’est une éventualité toujours présente et qui devrait tempérer un peu l’enthousiasme de Radjoul Mouhamadou devant la possibilité d’un créole québécois. Entre la métisserie du créole et les ravages de l’englobish, il n’y a qu’un pas.


Radjoul Mouhamadou, Créoliser le québécois – Réflexions sur la langue, l’identité et le rapaillement, Montréal, Éditions Somme toute, 2022, 136 pages