
Gabor Szilasi a 94 ans. Pendant ses 25 années d’enseignement, au Cégep du Vieux-Montréal comme à l’Université Concordia, il a formé des générations de photographes qui, chacun le dira, lui doivent beaucoup. Mais, surtout, avant tout, Gabor Szilasi est photographe. Au cours de la dernière décennie, on a d’ailleurs eu droit à des expositions rétrospectives d’envergure sur son œuvre. C’est lors d’une de celle-ci qu’il rencontre Joannie Lafrenière. Une complicité se crée dont va résulter ce film aujourd’hui sur nos écrans, tout simplement intitulé Gabor.
D’entrée de jeu, cette connivence est évidente car les premières images nous offrent des scènes en tandem alors qu’on revient avec eux sur les traces d’un voyage dans Charlevoix dont est né une série d’images. Cette entrée en matière coquine ne dure toutefois pas car, rapidement, la réalisatrice s’efface, laissant toute la place à son sujet. On peut alors constater comment Gabor Szilasi travaille, établissant des liens avec les gens, leur demandant la permission de les photographier.
Son approche est toute en civilité respectueuse et il en vient facilement à convaincre ces nouvelles connaissances que c’est un regard aimant qui se posera sur eux. C’est que la photographie est un prétexte pour capter l’humanité de ceux qui l’entourent. La prise de vue parachève et confirme le lien social. L’image contribue par la suite à conforter ce lien. Devenue photo, exhibée en livre ou en galerie, elle entre dans la relation que tout un chacun va établir avec le passé d’une collectivité, comme avec ces lieux qu’ils connaissent, dont ils reconnaissent un état lointain.
Dans le film, cela est illustré par le fait de ces conversations qui fleurissent sur la base de ces images du passé qui leur sont soumises, photos prises il y a longtemps, que les gens de Charlevoix commentent et où ils identifient des membres de la communauté.

D’autres moments forts suivront. Comme ce retour dans la Budapest de son enfance, où il retrouve un vieil ami, à qui il apprend sa détention pour cause de tentative de fuite du pays en 1949. Ce passage est l’occasion d’évoquer la jeunesse du photographe. On n’en saura que l’essentiel, tant l’homme est réservé, discret. Parlent parfois à sa place sa fille, Andrea, et sa femme Doreen Lindsay, toutes deux artistes. On ira à des célébrations diverses, une chez le photographe et ami Michel Campeau; une autre, lors de ses 90 ans. En ces occasions, apparaissent des membres de la communauté des photographes du Québec; que ce soit Serge Clément, Bertrand Carrière ou Benoît Aquin, tous venus trinquer avec lui. Et festoyer!
On assiste, avec des sentiments partagés, au déménagement de ses archives photographiques de toute nature, images, négatifs, achetées par le Musée des Beaux-Arts du Canada. Mais ce n’est pas là le signe de la fin d’une époque, mais du couronnement d’une carrière qui n’est pas finie. On se console avec lui et on se rassure à l’idée que des images de l’artiste orneront bientôt les cimaises du Musée de Charlevoix, à la Malbaie. On le voit en plus dans ce film toujours actif, tirant des images de vieux négatifs des années 50, prises de vue de Budapest.
Bref, voilà un très bon documentaire qui montre juste ce qu’il faut d’audace et de coquinerie, pour explorer en finesse, dans tous ces moments singuliers, la vie courageuse d’un homme déterminé. Mais qui cache sa pugnacité sous le voile d’une brin de malice. Gabor Szilasi s’en défendra bien. Il n’a de soin que d’être heureux et il affirme l’être. On le croit sans peine car on a eu la preuve de son bonheur en feuilletant avec lui des images familiales, qui racontent une vie ordinaire, simple; dédiée, sans forfanterie ni arrogance, à l’art. C’est que le photographe a cherché, en tous ses sujets, une parcelle d’humanité, a éclairé un coin de leur âme. Ces partages d’humanité l’ont comblé. Il a réussi à les faire venir au jour grâce à sa bienveillance. Et il est heureux en cette bienveillance. Il a construit et continue de construire son bonheur grâce à celle-ci. Et il a fait, du même coup, bien des heureux!
Je lui souhaite, malgré cette réserve qui le caractérise, d’éprouver cette seule mais immense fierté d’avoir réussi cela! Je le crois sage au point de savoir que c’est tout ce qui importe, au final!
Le documentaire Gabor est à l’affiche des cinémas Beaubien, du Musée, du Parc et de la Cinématèque québécoise
un film de Joannie Lafrenière, une production de TAK Films Inc.
Avec Gabor Szilasi, Andrea Szilasi et Doreen Lindsay
Durée : 1 h 41