
Le schisme identitaire est le premier livre d’Étienne-Alexandre Beauregard. L’auteur a été formé à l’Université Laval, étudiant en philosophie et en science politique. Il collabore au débat public par l’entremise d’un blogue portant son nom, comme il le fait aussi dans les pages de L’Action nationale. Il a été attaché politique à l’Assemblée nationale du Québec de mai 2019 à septembre 2020. Sous ce manteau nationaliste, un certain jupon identitaire dépasse de ce premier essai.
Étienne-Alexandre Beauregard dresse un portrait des ensembles idéologiques dont a été imprégnée la vie politique et culturelle du Québec depuis les 60 dernières années. Il se livre à des descriptions très éclairantes concernant une opposition qui va fonctionner à des degrés variables au cours des ans. En gros, un courant de pensée épouse l’idée d’un ensemble national à libérer ou à faire prospérer au sein du Canada. La pérennité de celui-ci exige une attitude volontaire et des mesures costaudes pouvant assurer sa survie dans le temps. C’est de 1960 à 2000, grosso modo, que cette hégémonie de pensée oblige les acteurs politiques à se définir en fonction de cette ligne de fond.
Puis, peu à peu, émerge un courant idéologique différent, déjà présent dans les années 80, qui veut voir l’état devenir un regroupement postnational et dépasser sa simple définition en termes d’ensembles culturels cohérents, représentés par les peuples anglophones et francophones du Canada pour aller vers un multiculturalisme prônant la diversité des identités en des sous-ensembles culturels. Aucun creuset commun n’existe plus en cette version du devenir collectif et plus aucune culture commune, représentée par un ensemble de référents partagés par tous, n’est possible. Seule existerait une sorte de version citoyenne de celle-ci, portée par un désir de vivre-ensemble dans la tolérance, la générosité et la paix. On peut cependant s’interroger sur la communauté d’esprit que cela créerait et sur la force de ces liants.
Plus inquiétant encore, il n’y aurait que peu de choses en commun entre les tenants de ces deux idéologies qui vont s’affronter en une guerre culturelle sur la question des enjeux déterminants de notre avenir politique.
L’auteur mène ainsi une réflexion certes assurée et assumée sur la question. Il le fait en y allant d’’exemples convaincants. Mais on ne peut se départir d’un certain malaise à le lire. À quoi cela est-il dû? se demande-t-on. Il me semble que c’est à un problème de posture de sa part. En effet, fait-il ouvrage d’intellectuel qui veut prétendre à une forme de neutralité et d’impartialité ou fait-il au contraire figure d’idéologue cherchant à conforter ses positions personnelles sur la question?
Tout au long de cet essai, le ton varie entre ces deux pôles. Ses descriptions, quand il cherche à montrer comment la Coalition avenir Québec a pu prendre la place du Parti Québécois sur les questions d’identité et de fierté nationales, sont marquées d’une certaine objectivité dans un emploi de termes mesurées. Mais il en va tout autrement quand il décrit les intentions de Québec Solidaire en des formulations marquées de manière assez péjorative.
Bonhomie
De même, son entrée en matière fait montre de bonhomie et de simplicité. Il décrit son enfance à Cap-Rouge, entouré qu’il est de jeunes Québécois comme lui, n’entretenant aucun doute quant à leur identité, forts d’une conviction naïve quant à ce que ce peut être d’être Québécois. Cette introduction donne l’impression que tout le reste sera une sorte de rationalisation idéologique, entreprise dans le but de chercher un fondement de pensée rationnelle à des impressions d’enfance. Mais que peut bien entreprendre, comme voyage intellectuel, comme plongée identitaire, un jeune Québécois (ou une jeune Québécoise) né(e) à Ville-Saint-Laurent ou à Notre-Dame-de-Grâces? Aura-t-il d’autres convictions, tout-à-fait contraires et tout aussi valables puisque nées dans un terreau totalement autre? Le pays de l’enfance est-il à ce point déterminant que le reste de notre vie idéologique va s’employer à le recréer et à le justifier?
Il y a aussi d’autres moments où le manteau de cette description gène aux entournures, comme si le travail intellectuel consistait moins à décrire qu’a supplanter le réel. Il oppose la position d’un Maurice Séguin et d’un Jocelyn Létourneau sur la question de la Conquête et de la perte de la mère-patrie, catastrophique pour le premier et pas tant pour le second. On en ressort avec l’impression que l’histoire est un grand magasin, un grand réservoir au sein duquel on puise à sa guise et selon ses préférences. Que nous disent-donc les historiens de ce moment de notre histoire? Leurs descriptions n’offrent-elles pas quelques analyses plus pondérées que ces positions aux extrêmes? C’est en ces occasions qu’on en conclut qu’existe en cet essai une sorte de torsion idéologique qui nuit à l’analyse équitable de ce qui anime les tenants de cette guerre culturelle.
Encore une fois, ce n’est pas que ce que décrit l’auteur ne soit pas à prendre au sérieux et qu’il ne faille pas voir en son analyse le soulèvement de questions nécessaires et probantes, circonscrites de manière fort efficace et convaincante. Mais c’est dans une volonté de voir en cela le tout de notre réalité sociale que transparaissent quelques failles et incertitudes. Ce qu’il dit de Québec Solidaire, par exemple, s’accommode assez mal du livre publié et écrit par les membres de l’aile parlementaire qui font largement état de leurs convictions souverainistes: Ce qui nous lie, recensé plus tôt cette année par votgre serviteur.
Premières nations
Une question n’est d’ailleurs pas du tout soulevée dans cet essai, sinon par la bande. Ce n’est pas étonnant car elle pourrait tout invalider. Il s’agit de la question autochtone. Il en est fait état quand on parle de Québec Solidaire comme une tentative de fédérer tous les exclus de la normativité. Les Autochtones, comprend-on, représentent une partie de cet auditoire potentiel. (Québec Solidaire ne va-t-il pas présenter cinq candidats issus des communautés autochtones aux prochaines élections?) Or, ils sont un peu plus que cela, me semble-t-il. Car si le Québec se trouve entravé dans sa marche et ses potentialités comme nation, dans le cadre restreint de son appartenance au Canada, jamais réellement consentie de manière démocratique, que peut-on dire des nations autochtones qui occupaient ce territoire bien avant que viennent s’établir ici Français et Anglais? Non seulement peut-on dire qu’elles ont été « entravées » mais il serait encore plus juste de dire qu’ils ont été victimes de tentatives génocidaires. Qu’est-ce qui justifie qu’elles ne puissent avoir droit à une souveraineté politique si le Québec, lui, y a droit?
Il n’est donc pas surprenant que la question soit ici totalement évitée. Elle est totalement à l’extérieur du cercle des préoccupations de l’auteur au sujet de cette guerre culturelle. C’est donc dire qu’elle n’occupe aucune place dans l’imaginaire québécois…
Vraiment?
Étienne-Alexandre Beauregard
Le Schisme identitaire. Guerre culturelle et imaginaire québécois
Éditions Boréal, Collection Essais, 2022
282 pages