POÉSIE : Le ver(s) d’oreille de Frédéric Dumont

Le poète Frédéric Dumont a déménagé, mais il a gardé sa chambre. Survivant à la fermeture de la maison d’édition l’Écrou, il retrouve chez Les herbes rouges la même liberté lui permettant d’être à l’écoute de l’intime et du langage. Ce qui le sauve, ce qui l’aide à maintenir le rythme et le souffle dans sa Chambre minimum, son quatrième recueil.

Frédéric Dumont écrit, dans ce livre où sa « chambre est le seul mot », qu’il « désire le très long poème ». S’étendre sur plus d’une page est une première pour le poète et ça lui réussit très bien. De courts et moins courts textes s’intercalent donc, ouvrant ainsi la porte de cette chambre aux questions existentielles sur la vie, la solitude, la mort et l’amour, notamment.

La chambre reste l’endroit de tous les questionnements, le lieu concret aussi de l’écriture de ses deux derniers livres. Le refuge du ver(s) d’oreille qui tient lieu de site d’observation sur la vie quotidienne avec les yeux de son imaginaire débordant.

Frédéric Dumont, photo: Katya Konioukhova

« Entre Volière et Je suis célèbre dans le noir, il y a eu une période de sept ans où l’écriture était difficile. Après ce recueil, j’ai eu peur de bloquer ou de me répéter. Quand j’ai accepté cet état de faits, les choses se sont mises en places. J’avais plein de matériaux que j’ai assemblés un peu compulsivement. Avec la poésie en prose, en changeant les rythmes et les formes, j’ai essayé de me déjouer pour me renouveler. C’est un jeu d’équilibriste. »

« C’est dur de dire ce qui vient d’abord, poursuit-il, entre l’envie d’essayer du nouveau ou le hasard. À un certain moment, c’est le texte qui décide aussi. J’ai beau désirer un très long poème, mais quand je l’écris que va-t-il arriver ? Ce n’est jamais la volonté qui dicte tout. C’est vraiment un jeu entre la volonté et le hasard. Je le réapprends à chaque projet. Cette fois, j’ai essayé toutes les formes que j’aime en poésie. »

Le poète écrit qu’il aime vivre, mais il reste obsédé par la fin. Comme dans ses autres recueils, l’étonnement qu’il provoque est constant dans cette Chambre minimum.

« Pendant que t’écris, tu veux étonner et briser les lieux communs. Quand c’est devenu un livre, tu le reçois par la poste et ce n’est plus étonnant parce que tu l’as lu 1500 fois. Mais je me demande si le lecteur est étonné, lui. »

Et comment donc! Sa « très belle angoisse » est presque une marque de commerce chez Frédéric Dumont. Il aborde, entre autres, le sujet de la paranoïa quatre fois plutôt qu’une dans son recueil. Mais encore là en équilibre, un peu, mais pas trop.

Je pense qu’il ne m’aime pas. / Je pense qu’elle ne m’aime pas. / Ils ne m’aiment pas. / M’aimes-tu encore ? Je lui écris. / M’aimes -tu encore ? / Je suis obsédé aujourd’hui. / Il y a beaucoup d’espace perdu dans une seconde. / C’est très grand une seconde. »

Noir obscur

Frédéric Dumont a reçu le prix Félix-Antoine-Savard, a été finaliste au prix Émile-Nelligan et n’est pas « célèbre dans le noir » pour rien. Parfois, les poèmes le visitent quand l’obscurité l’enveloppe.

« La nuit, je pouvais me réveiller en sueurs en sachant que je devais changer certains vers. C’est comme si j’avais un éditeur dans ma tête qui me réveillait pour me dire quoi faire. C’est la première fois que ça m’arrivait de façon si intense. »

La promenade l’aide aussi beaucoup à coucher sa poésie sur le papier. « Durant l’écriture, en marchant, les poèmes me revenaient en boucle. C’est pour ça que, dans mon livre, il y a cette idée du cercle qui tourne. C’est ce que marcher me donne. »

Le poète regarde les choses d’en bas, jamais de haut. Contrairement à d’autres dont la posture frôle parfois la condescendance, Frédéric Dumont crée avec curiosité et humilité. « Mes auteurs et autrices préféré.e.s ne regardent pas le monde en surplomb », avoue-t-il.

L’humour lui sert également, ce qui ne l’empêche pas de voir, de saisir et d’être touché par le sérieux de l’existence, voire la tragédie de vivre. « Je ne cherche pas à tout désamorcer par le rire », souligne-t-il.

S’il était un photographe, on pourrait dire qu’il change de lentille au moment même où il prend la photo. S’il était cinéaste comme Hitchcock, qui l’a inventé, le plan donnerait cet étrange effet dû à ce que la caméra recule tout en effectuant un zoom. Frédéric Dumont est un joueur qui lance les dés au bord d’un précipice surréaliste.

d’où je me situe / je vois un lac / enfin : je l’imagine / j’imagine / cette pierre faisant des bonds sur l’eau / elle n’arrête jamais / j’ai compté 135 bonds / puis la pierre a percé la glace / un poisson en est sorti / un enfant a crié maman maman / et c’était peut-être moi

Longueur

À plus de 150 pages, Chambre minimum est également son plus long recueil. Il avait commencé à prendre forme lors du dernier tour de l’Écrou quand la maison d’édition a annoncé sa fermeture au début de l’an dernier.

« Ça a été un choc. C’est avec eux – Jean-Sébastien Larouche et Carl Bessette – que j’ai appris mon métier. Quelques mois après, Les herbes rouges m’ont contacté en me proposant de rééditer Volière. Tous ces changements m’ont touché. J’ai accepté parce que je connaissais les Herbes et plusieurs de leurs poètes. Ça m’a donné du carburant pour travailler sur Chambre minimum. »

À l’invitation de l’éditrice Roxane Desjardins, Frédéric Dumont a aussi écrit la préface de Sauterelle dans jouet, publication récente sur la poésie complète (1972-2007) du cofondateur – avec son frère, feu François – des Herbes rouges, Marcel Hébert. Comme le poète disparu, Dumont est du genre à se « douter de tout même des murs qu’il croyait pipés ».

« Il y a vraiment une parenté. La présence de la chambre, la peur de l’extérieur, le jeu entre l’intérieur et l’extérieur. La préface, je voulais l’écrire un peu comme une conversation avec un ami. Il n’y a pas de surplomb non plus. »

Comme les frères Hébert, aussi, l’auteur de Chambre minimum cultive un regard oblique, bouclier contre les doutes, les incertitudes, les remises en question qui le grugent depuis longtemps. Pour cette raison sans doute, on sent chez Frédéric Dumont ce besoin de continuer de bouger, d’émerger là où on ne l’attend pas.

Personnellement, je me trouve au fond d’une belle rivière. On a parfumé mon aorte, on me traîne dans le long corridor, on me relève un organe. // Je me trompe toujours entre les vérités de la chambre et cet objet qui s’exprime à ma place. // Quoi, certaines oreilles sont des mausolées ridicules, cela nous fait un endroit neutre où apprendre le mouvement inverse.


Chambre minimum (Les herbes rouges, 2022)

« Nul comme

se satisfaire du brouillard minutieux

qui revient

sans aucune espèce

de mélodie »

Je suis célèbre dans le noir (L’écrou, 2019)

il m’arrive de verser quelques larmes

en vidant le lave-vaisselle

car je suis un poète longueuillois

et longueuillois est un mot valide au scrabble

et si je me défenestre

à chaque poème

c’est que je connais l’importance

de sortir prendre l’air

Volière (l’Écrou, 2012, Les herbes rouges 2021)

la sonnerie du téléphone

perce un trou

de cul dans le silence

j’entends ses pas dans l’escalier

l’escalier tombe

je marche jusqu’à la pharmacie

je m’achète un oiseau

Événements miteux (Ta mère, 2009)

épuisé