
Pierre Nepveu, poète, romancier et essayiste, est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages qui lui ont valu de nombreux prix. Il a remporté 3 fois le prix du Gouverneur général : pour un essai (1998) et deux recueils de poésie (1997 et 2003). Évidemment, il est connu pour son imposante biographie de Gaston Miron. Depuis quelques années, on voit son nom apparaître au bas de lettres envoyés aux journaux, touchant à des questions d’actualité sur la condition québécoise. Il faut croire qu’il n’en avait pas fini avec ces questions. Elles sont au coeur de ce dernier opus.
Avec Géographies du pays proche, Pierre Nepveu ne cherche pas à en appeler à une possible indépendance du Québec, qui ne semble aujourd’hui ni à proximité ni possible dans l’immédiat. Ce pays proche dont il parle, c’est celui de tout un chacun, celui de la quotidienneté, celui qui existe déjà et dont chacun, de nos jours, fait l’expérience au sein de ce territoire que nous partageons. Je ne peux croire cependant que la possible méprise lui ait échappé. Il est sûr que cet intitulé a été pensé pour faire réagir, pour nous inciter à ne pas remettre à demain des interrogations et des espoirs dont la réalisation tangible ne peut attendre un possible lendemain qui chanterait.
Cet essai, après ceux qu’il a consacrés à la littérature et qui lui ont valu des prix du Gouverneur général, s’inscrit dans la poursuite de ce qu’il a pu livrer à l’occasion, dans les journaux montréalais, sur une actualité québécoise nourrie de l’antagonisme entre nationalistes identitaires et partisans du multiculturalisme. Mais c’est là une opposition qui répugne quelque peu au poète et essayiste. C’est en cela que ce livre paraît nécessaire en ces temps quelque peu troublés. Il cherche à invalider cette opposition, dans la crainte qu’il a qu’on y oublie de considérer, à travers ces allégories de la pensée inquiète du futur, la nation concrète et non celle imaginée par des idéologies aux antipodes.
Il n’est pas donné à tout le monde de savoir faire dialoguer aussi efficacement raison sensible et esprit logique. La sensibilité raisonnante de Pierre Nepveu passe évidemment par ce qui est finalement sa pratique principale, celle du poète et du littéraire. Ce dernier tend à privilégier, comme il l’écrit si bien, le détail à la globalité, l’exception à la règle, l’exclu et l’oublié à la loi du général, l’imprévisible et l’aléatoire aux prescriptions normatives et abstraites. En bref, à s’attarder au monde scruté au plus proche plutôt que contempler à la vue panoramique,
Comment y parvient-il? En partant du biographique, de ce qu’a été sa vie et de la manière dont, en celle-ci, a grandi un certain sens de la responsabilité du monde environnant dont tout écrivain et penseur doit tenir compte.
« Je ne serai jamais quitte des douleurs du monde ni de ses cruautés », écrit-il avec lucidité.
Cet apport principal se fait sans lourdeur. C’est une sorte d’éducation sensible et intellectuelle commencée en pleine Grande Noirceur. De cette période honnie de l’histoire du Québec, il n’a pas senti les effets castrateurs et inhibants dont, selon lui, on se serait trop rapidement convaincus. Son épopée personnelle traverse évidemment les moments-clés des dernières 50 années : élection du Parti Québécois, célébration du pays en littérature, référendum, nébulosité post-référendaire, l’écriture migrante des années 90. Jusqu’à aujourd’hui où retentissent selon lui trop d’appels à la nation unitaire, fantasme affligé de nationalistes inquiets de l’avenir.
Un Québec en partage
L’indépendance ne nous aurait pas soustraits, pense-t-il, aux exigences du monde d’aujourd’hui, fruit d’une accélération et d’une prolifération culturelles sans précédent. Monde prolixe d’échanges et de migrations de toutes sortes. Un monde qui fait de nous tous, en quelque sorte, des migrants. Il aurait tout de même fallu affronter soucis et préoccupations d’un univers moins étanche que jamais, perméable à la pluralité des origines, des convictions, des perspectives culturelles de différents acabits.
Un tel propos détonne dans notre environnement intellectuel actuel. L’essayiste est convaincu que l’identité n’est pas quelque chose de donné une fois pour toutes, mais qu’elle s’inscrit dans une mouvance et une évolution. Elle est « ce que nous lui donnons, en matière de travail, de réexamens, d’échanges, de création ». Il propose ainsi une voie mitoyenne entre quête identitaire et réalité cosmopolite. Ce ne sont plus deux versions d’un avenir possible qui s’affrontent. Ce ne sont plus identité unitaire versus multiculturalisme canadien qui se toisent. C’est le parti de vivre, depuis le giron d’une identité en redéfinitions contantes, le pari d’un pluralisme inévitable. Afin que la nation demeure ce « nom que l’on donne à notre souci et à notre attente d’un monde habitable situé dans une histoire ».
Pierre Nepveu
Géographies du pays proche Poète et citoyen dans un Québec pluriel
Éditions Boréal, Collection « Papiers collés », 2022
256 pages